Le ver de terre : l’avenir d’une agriculture durable

De Laure CATHERIN & Pénélope SALON, étudiantes en Mastère Spécialisé Eco conseiller, promotion 34

Crise climatique, écologique, alimentaire, … Nos modes de production agricoles ont pour enjeux de se réinventer pour faire face à ces crises systémiques, et cela durablement. Et si nous regardions sous nos pieds ? L’avenir de cette agriculture durable pourrait dépendre de petits êtres vivants sous-estimés. Les vers de terre.

Nos enjeux agricoles

“La trajectoire actuelle qu’effectue la croissance de la production agricole n’est pas durable et ce, en raison de ses effets négatifs sur les ressources naturelles et sur l’environnement. » énonce la FAO (Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture).

En effet, nos modes de productions agricoles contribuent de manière massive à la pollution de l’air (gaz à effet de serre : méthane, protoxyde d’azote), de l’eau (nitrates, phosphates, pesticides,…) et à sa sur-utilisation, mais aussi à la dégradation du sol (salinisation, acidification, perte de matière organique,…). Ces modes de production participent donc au changement climatique, à la raréfaction des ressources naturelles et également à l’érosion de la biodiversité. Pourtant, les besoins alimentaires ne cessent de croître à l’échelle mondiale.

Il convient donc de changer notre système de production agricole conventionnel – voire productiviste – pour un système plus durable, afin de répondre à l’insécurité alimentaire, au changement climatique et à la crise écologique mondiale.

Qu’est-ce que l’agriculture durable ?

En réponse à cet enjeu, une démarche est apparue visant à appliquer les principes du développement durable (1987, rapport Brundtland) à la production agricole à travers les termes “agriculture durable”.

Le développement durable est défini par trois sphères traduisant trois objectifs : économie (économiquement viable), sociale (socialement équitable) et environnement (écologiquement saine).

L’agriculture durable implique donc de ne pas uniquement prendre en compte l’aspect économique d’une production agricole, mais d’y intégrer également les dimensions humaines, sociales et environnementales, créant ainsi un équilibre entre ces trois dimensions. Ce mode de production permet ainsi de minimiser les impacts négatifs sur les individus et sur la planète.

Cette agriculture durable est actuellement considérée comme étant une démarche, un cadre. Par conséquent, elle n’implique pas de définition officielle ou encore de règles, de normes ou de méthodes à suivre.

E. Boudier a défini en 1996 (dans son mémoire d’ingénieur “A la rencontre de l’agriculture durable”) l’agriculture durable comme ce “qui est rentable et permet la transmission de l’exploitation, grâce à une moindre accumulation de capitaux, des systèmes plus économes et autonomes, une meilleure qualité de vie et de travail, une prise en compte des équilibres naturels dans les pratiques agricoles, un respect des ressources naturelles et une meilleure occupation de l’espace.”

Au delà de l’aspect social et économique, le passage à une agriculture durable implique un changement dans les pratiques agricoles visant à limiter son impact négatif sur le climat et la biodiversité mais aussi avoir un impact positif sur :

  • La conservation du sol : arrêt de la sur-utilisation d’engrais et pesticides, herbicides,…
  • La conservation des ressources en eau
  • La conservation des ressources génétiques et de la biodiversité : éviter la monoculture, …
  • Lutter contre la désertification

Le rôle du sol : une valeur écologique inestimable

Comme il est énoncé dans le scénario Afterres 2050, il y a nécessité de “faire du maintien de la fertilité des sols le pivot de la durabilité des systèmes agricoles”. En effet pour rappel, le mot “agriculture” peut se définir par la “culture du sol”. Ce dernier constitue le “premier patrimoine du monde agricole”, puisque c’est à travers le travail de la terre que l’agriculteur la transforme et produit des végétaux. Sans sol, on ne pourrait rien produire.

Or, depuis le milieu du XXème siècle et le début du XXIème, le sol était perçu uniquement comme un support sur lequel il fallait mener des “interventions culturales souvent lourdes et énergivores” pour en améliorer sa fertilité et par conséquent son rendement.

Le sol, étant composé d’éléments minéraux, d’humus, d’eau, d’air et d’organismes, constitue “un habitat complexe, qui comprend de nombreux espaces permettant la circulation de l’air et de l’eau et où plusieurs formes de ressources nutritives sont disponibles.” 

La fertilité des sols agricoles est un enjeu car elle dépend de “propriétés héritées de longs cycles géologiques”. Un sol est dit “fertile” lorsqu’il apporte les éléments essentiels (azote, phosphore, potassium, …) à la croissance des végétaux par l’action des organismes vivants qui libèrent des éléments nutritifs aux plantes en digérant la matière organique.

En effet, une vie souvent méconnue, diverse et abondante est présente dans ces espaces souterrains (micro-organismes : bactéries, champignons, macro-organismes : vers et insectes…).

Ainsi, il est nécessaire de préserver cette fertilité notamment face à la surexploitation des terres agricoles et l’utilisation excessive d’engrais et de pesticides qui appauvrissent les sols en matière organique et en éléments nutritifs à long terme. Préserver la richesse des sols implique donc de protéger la biodiversité qui la compose.

Selon la coopérative d’agricultrices et d’agriculteurs Terrana, les principales actions visant à préserver les sols sont :

  • Protéger la surface du sol : exemple : implanter des couverts végétaux qui permettent de protéger la surface des sols, de maintenir l’humidité, d’augmenter la quantité de matière organique dans le sol, …
  • Réduire le travail du sol : exemple : favoriser les techniques alternatives comme le semi-direct, le non-labour, … Ces méthodes plus douces permettent de conserver la richesse des éléments composant la couche superficielle du sol.
  • Enrichir le sol : exemple : amender le sol en intégrant des éléments qui dynamisent de façon naturelle et durable son activité biologique mais aussi sa fertilité (avec épandages comme le fumier, lisier, …). A l’inverse, les engrais se contentent de nourrir les plantes (et non le sol) et compensent le manque d’éléments essentiels composant la terre.

L’enrichissement du sol : une armée de vers de terre

Le rôle du ver de terre

De nombreux services écosystèmes font honneur aux vers de terre qui jouent notamment un rôle de puits de carbone en enfouissant de la matière organique assez profondément dans le sol (certaines galeries descendent jusqu’à 2 mètres de profondeur) et ainsi améliorent la structure des sols.

“Avec leurs galeries, ils participent à en améliorer la porosité, utile pour l’écoulement de l’eau. Les lombrics mélangent également les composants du sol. Au niveau chimique, ils digèrent la matière organique pour en libérer les éléments nutritifs dont les plantes ont besoin”, explique Éric Blanchart de l’UMR Eco&Sols. Ils contribuent donc directement à une meilleure fertilité du sol.

Des chercheurs de l’IRD, en compagnie de leurs partenaires présents à Madagascar, ont étudié l’impact de l’ajout de vers de terre sur des cultures de riz. La présence de ces vers ont permis d’augmenter la biomasse des pousses de riz mais aussi la présence de phosphore dans le sol, élément nécessaire pour les végétaux. Ils ont pu également prouver que ces vers de terre permettaient aux plantes de se protéger des maladies.

La population du ver de terre en déclin

Si le ver de terre s’avère être le premier travailleur du sol et qu’il constitue 60 à 80 % de la biomasse animale des sols, il est alors sensible à tout usage de ce dernier et il devient lui aussi menacé par l’exploitation que l’agriculture conventionnelle opère à large échelle. 
De Charles Darwin (qui les comparait à des charrues) à Hubert Reeves, certains scientifiques se sont faits les porte-parole du rôle essentiel des vers de terre dans la fertilité du sol et alertent du déclin du ver de terre dans certaines régions du monde et notamment en France.

Christophe Gatineau, agronome et écrivain, interpelait M. Emmanuel Macron en janvier 2019 en ces termes : “Pour le ver de terre, […], les quelques espèces qui rajeunissent le sol en permanence n’ont pas de remplaçants.”

Les vers de terre subissent un déclin que les chercheurs ont commencé à évaluer. Claude et Lydia Bourguignon, microbiologistes des sols, ont pu constater dans certaines exploitations un effondrement de la biomasse des vers de terre, passant de 2  tonnes à 50 kg par hectare, mais aussi la disparition d’autres organismes (bactéries, champignons,…). Étant donné que les vers de terre représentent un des indicateurs principaux de la bonne santé du sol, leur disparition entraîne inévitablement l’appauvrissement de celui-ci et par conséquent des espèces qui y vivaient. Or, point de sol sain sans ver de terre.

Fin 2019, la revue Sciences a publié une étude sur 57 pays afin de dresser une cartographie de la population des vers de terre. Les conclusions ont montré que ce sont les variables climatiques (température et humidité) qui jouent un rôle déterminant dans leur abondance.

Le changement climatique, corrélé à des pratiques agricoles conventionnelles, pourrait sonner le déclin des vers de terre, à l’instar de nombreuses autres espèces. Or, sans le verre de terre dans nos sols, c’est toute la chaîne alimentaire qui est mise en péril.

L’importance des vers de terre dans l’équilibre des écosystèmes et dans la fertilisation des sols met en lumière la nécessité de transformer nos modes de production agricoles. Assurer et favoriser le développement des vers de terre déjà présents, ou intégrés à la terre, peut impliquer par exemple une réduction de l’usage des pesticides, du labourage, voire sa suppression.

Sources :

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