Par Barbara REUTENAUER & Christine GÉRARDIN

Étudiantes en Mastère Spécialisé® Eco-Conseiller – Promotion 34

L’industrie textile est une des plus polluantes au monde. Des constats alarmants pour l’environnement, mais aussi pour les droits humains. Des millions de travailleurs sont exploités et subissent des conditions de sécurité et de travail indécentes. Heureusement, des tendances pour une mode plus durable émergent même si de nombreux freins subsistent

1. Le business de la mode : impact social et environnemental

L’ère de la fast-fashion, emblème de notre économie globalisée 

130 milliards de vêtements ont été vendus dans le monde en 2020, soit deux fois plus qu’en 2005 [1]. L’industrie textile pèse aujourd’hui 3000 milliards de dollars [2] et emploie 75 millions de personnes à travers le monde [3]. En termes d’emplois créés et de business généré, l’industrie de l’habillement est colossale ce qui en fait  la 7e économie mondiale [4].

Ces chiffres sont emblématiques d’une tendance très répandue depuis les années 2000 dans l’industrie textile : la production massive et effrénée de vêtements à bas prix, reposant sur un renouvellement ultra-rapide des collections, couramment appelée fast-fashion [5].

La fast-fashion, un désastre environnemental  

L’industrie textile est l’une des plus polluantes au monde. Les constats du rapport de l’ADEME [6] sont explicites :

  • 1,2 milliard de tonnes de gaz à effet de serre sont émis chaque année par ce secteur. C’est plus que les vols internationaux et le trafic maritime réunis.
  • L’industrie textile est le 3ème secteur le plus consommateur d’eau dans le monde après la culture du blé et du riz. La production de textile utilise 4 % de l’eau potable mondiale [6].
Pollution chine

Le cycle de vie des produits textiles suit un schéma linéaire et a des conséquences très lourdes sur l’environnement.

Tout d’abord lors de sa confection : production de matières premières, transformation (teinture, ennoblissement), transport… Chacune de ces étapes entraîne une pollution des sols et de l’eau, et une consommation d’eau et d’énergie dans des quantités irraisonnées.

Mais elles ne sont pas seules responsables des dommages environnementaux. 12 % de l’eau consommée chaque année dans les foyers français est attribuée à la machine à laver [7].

Enfin, en fin de vie, lorsqu’un vêtement n’est pas recyclé, donné ou réutilisé, il est souvent jeté ou incinéré [8].

La fast-fashion, des conséquences sociales dramatiques

L’industrie textile emploie dans le monde 75 millions de personnes dont 80 % de femmes. 65 millions sont situées dans les pays de l’Asie du Sud-Est [3]. Ce choix géographique répond à des critères stratégiques : une main d’œuvre à bas coût, une représentation syndicale et une réglementation sur l’usage de certains produits chimiques, faible ou inexistante [5].

Les conséquences sociales de la mode « jetable » sont désastreuses : exploitation des femmes et des enfants, salaires précaires, violations des droits, répression syndicale et conditions de travail indécentes. La pression sur les coûts et les délais de production, dans le but d’accroître les profits, pèse sur les ouvriers qui travaillent sur les chaînes de production [9].

En 2013, l’effondrement du Rana Plaza à Dacca, au Bangladesh, provoque la mort de plus de 1000 ouvriers. Symbole des abus de la fast-fashion, il marque le début d’une prise de conscience citoyenne [10]. Autre fait marquant, la publication d’une « liste de la honte » dénonçant 83 marques et multinationales de prêt-à-porter profitant du travail forcé des Ouïghours dans la région du Xinjiang en Chine [10].

couturière usine

2. Quelles tendances pour réinventer la mode ? 

Marques engagées mais aussi acteurs majeurs tentent de redessiner le visage de l’industrie textile tout au de sa chaîne de production. Des « tendances » illustrent des bonnes pratiques qui ouvrent des voies vers une mode plus responsable.

Tendance#1 : Une transparence radicale concernant tous les acteurs de la chaîne de production pour chaque vêtement vendu : nom des fournisseurs, conditions de travail, localisation, etc. La décomposition du prix des articles peut être détaillée : coût des fabrication, matériaux, transport, taxes et informations détaillées sur l’usine de production.

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Tendance#2  : Du Made in local pour une réduction de l’impact du textile sur l’environnement et une relance du savoir-faire local. Cela répond également à une demande croissante des consommateurs.

Quelques marques françaises, qui avaient délocalisé leur filière de production, ont considéré la relocalisation comme une source d’opportunités au regard du triptyque qualité-coûts-délais.

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Tendance#3 : Utilisation de fibres responsables : développer des nouvelles fibres innovantes et moins énergivores, réhabiliter des matières naturelles, abandonner les matières animales et réutiliser des fibres en circuit fermé. Actuellement, elles sont utilisées à très petite échelle, notamment pour des collections capsule ou par des start-ups. Pour les développer à échelle industrielle, un agenda commun entre marques, designers et start-up est nécessaire.

Contrairement au coton, dont la culture est intensive et consommatrice en eau (y compris le coton biologique) et en pesticides, le lin est une bonne alternative car il a de nombreux avantages : sa culture nécessite très peu d’eau et d’engrais. La culture du chanvre a également un profil environnemental intéressant.

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Tendance#4  : Le zéro déchet : Un vêtement peut être pensé avant sa confection pour limiter les déchets. Grâce à l’économie circulaire, le cycle de vie d’un vêtement peut être revu : l’upcycling donne une seconde vie à certains vêtements. Certaines marques créent leurs collections à partir de linge de maison vintage, de fins de rouleaux, de textile militaire comme des parachutes, ou des combinaisons de survie.

Le recyclage permet également de valoriser le textile en fin de vie, par exemple via l’utilisation de fibres recyclées dans la production de nouveaux vêtements [8].

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Tendance#5 : La slow-fashion, par opposition à la fast-fashion, se définit par le ralentissement du rythme de la mode (baisse du nombre de collections annuelles, arrêt des promotions et des soldes…) et par l’allongement de la durée de vie des vêtements qui sont de meilleure qualité, éco-conçus et durables. Certaines marques proposent également une garantie sur leurs vêtements ou un service de réparation [9].

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Tendance#6 : La seconde main connaît un succès croissant avec les friperies physiques et en ligne et représente une façon de repenser l’usage de nos vêtements. Certaines marques récupèrent leurs vêtements usés pour les remettre en état et les revendre directement sur leurs sites.

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Tendance#7  : La location d’habits représente également une manière de changer de look dans un fonctionnement circulaire qui économise des ressources. Plusieurs acteurs proposent maintenant des box de location [8].

3. Freins et dilemmes à une mode durable

Des engagements internationaux non contraignants

En réponse à l’impact environnemental de leur activité, des grands groupes de la mode ont signé des engagements tels que la Charte de l’Industrie de la mode pour le climat ou le Fashion Pact. Ces engagements se fondent sur des approches floues, modestes, et non contraignantes. De plus, en délocalisant leur production, ces groupes s’affranchissent de nombreuses règles et déclinent toute responsabilité vis-à-vis des violations de droits commises par leurs filiales et sous-traitants à l’étranger. Faute d’un cadre réglementaire international, ces sociétés échappent encore souvent au contrôle de l’État [9].

La baisse des volumes, un sujet tabou

« Le sujet du volume est encore tabou dans la profession ». Les engagements du secteur de la mode, rassemblés dans The Fashion Pact, le démontrent : limiter leur empreinte écologique, oui, mais pas un mot sur la fast fashion dont le modèle économique repose sur la fabrication en grand volume et à bas coûts. Est-ce pour mieux pérenniser leur modèle économique sans le remettre en question [11] ?

Une industrie très carbonée et complexe

La production de vêtements provient encore majoritairement d’une industrie très carbonée. Les usines chinoises sont alimentées par des énergies fossiles et demeurent très énergivores. Or, toute la chaîne de production dépend de la Chine, premier atelier textile au monde [11].

De plus, cette industrie est complexe, avec des techniques de production et des acteurs multiples intervenant sur toute la chaîne d’approvisionnement [8]. Ainsi, une vraie transition de la filière « peut s’avérer complexe, copernicienne au regard du nombre d’opérateurs. L’industrie doit s’interroger sur la filature, le tricotage, la teinture et la confection » [11].

Quid d’une relocalisation massive de l’industrie textile dans les pays occidentaux 

« Fabriquer en France plutôt qu’en Chine permet de diviser par deux l’empreinte carbone de l’habillement », rappelle l’Union des Industries Textiles [11]. Toutefois, l’appareil industriel français est sinistré avec une pénurie de main-d’œuvre qualifiée [12]. Et le surcoût de la production tricolore ne serait pas adapté à tous les segments de prix du marché de l’habillement [11].

Parallèlement l’industrie textile emploie des millions de personnes, principalement dans les pays d’Asie du Sud-Est. Pour Jae-Hee Chang de l’Organisation Internationale du Travail : « Il y a neuf millions de couturiers dans la seule région de l’ASEAN. (…) il n’y a pas d’autre secteur qui puisse les absorber, cela posera un problème [8]. 

Des défis technologiques

La mise en place d’une économie textile plus circulaire, implique des défis technologiques notamment au niveau des fibres. En effet, le recyclage de certaines fibres n’est pas encore totalement maîtrisé par l’industrie. Il constitue un champ d’innovation pour les années à venir.

La schizophrénie du consommateur

Plusieurs études révèlent l’appétence des français pour une mode durable et responsable, mais celle-ci ne se transforme pas encore en acte d’achat. En effet, selon l’Institut français de la mode, pour 41 % des français, le prix reste le premier critère d’achat d’un vêtement, contre 4 % pour qui le caractère écologique et éthique est la priorité [13].

En effet, la mode à petits prix avec ses méthodes marketing agressives a profondément modifié le comportement des consommateurs : achats compulsifs sans réelle prise en compte de leurs besoins et surconsommation. Et la neuroscience a démontré combien, à force, ces méthodes marketing stimulent l’estime de soi et activent la dopamine, l’hormone du plaisir immédiat. Notre cerveau serait « un ennemi de la planète », avance Sébastien Bohler, neuroscientifique, dans son essai Le Bug humain [11].

Conclusion

L’industrie textile est à un tournant de son histoire. Une mode plus circulaire, durable, juste et totalement transparente sur sa chaîne de valeur émerge progressivement à l’initiative de start-ups mais aussi d’acteurs traditionnels du secteur.

Mais pour cela, une réorganisation profonde du secteur et un changement de paradigme (vers la dé-consommation de vêtements et de ressources) seront nécessaires pour y répondre.

Et nous pouvons toutes et tous y contribuer.

Sources 

  1. Euromonitor International, Apparel and Footwear Industry, 2020.
  2. Fast Fashion – Les Dessous de la Mode à bas prix. Film documentaire réalisé par Gilles Bovon et Edouard Perrin, ARTE, 2021.
  3. Asia-Pacific Garment Industry Suffers As COVID-19 Impact Ripples Through Supply Chain. Organisation internationale du travail, Octobre 2020.
  4. The State of Fashion 2022, McKinsey Company, 2022.
  5. L’impact de la mode : drame social, solidaire et environnemental. Oxfam France. https://www.oxfamfrance.org/agir-oxfam/impact-de-la-mode-consequences-sociales-environnementales/ (consulté en Octobre 2022).
  6. La mode sans dessus-dessous. Infographie de l’ADEME, 2018. https://multimedia.ademe.fr/infographies/infographie-mode-qqf/ (consulté en Octobre 2022).
  7. Fast fashion et slow fashion : définitions et enjeux. Oxfam France. https://www.oxfamfrance.org/agir-oxfam/fast-fashion-et-slow-fashion-impacts-definitions/ (consulté en Octobre 2022).
  8. Fashion for good – Les futurs de la mode responsable. Quatrième numéro de la collection de cahiers « Next Practice », Octobre 2018.
  9. Fast Fashion : Impacts, alternatives et moyens d’agir. Ebook, Oxfam France.
  10. 83 marques et multinationales profitent du travail forcé des Ouïghours. Médiapart, 1 Août 2020, https://blogs.mediapart.fr/jlmfi/blog/010820/83-marques-et-multinationales-profitent-du-travail-force-des-ouighours (consulté en Novembre 2022).
  11. Coton bio, “made in France” et vêtements recycles… L’utopie d’une mode durable. Juliette Garnier, Le Monde, 1 Février 2022, https://www.lemonde.fr/economie/article/2022/01/30/coton-bio-made-in-france-et-vetements-recycles-l-utopie-de-la-mode-durable_6111599_3234.html (consulté en Novembre 2022).
  12. L’industrie textile française peut-elle être relocalisée ? Fashion United, 27 Décembre 2021,https://fashionunited.fr/actualite/business/l-industrie-textile-francaise-peut-elle-etre-relocalisee/2021122728655 (consulté en Novembre 2022).
  13. Entre le prix et la durabilité d’un produit, le cœur des consommateurs balance. Fashion Network, 24 Novembre 2021, https://fr.fashionnetwork.com/news/Entre-le-prix-et-la-durabilite-d-un-produit-le-coeur-des-consommateurs-balance,1355956.html (consulté en Novembre 2022).

 Pour aller plus loin :