De l’ordure à la ressource, les biodéchets une ressource en or(deur) ?

Proposé par Frédéric ADOLF, Gérard BOZEC, Emilia VOGTENBERGER
Étudiant·es du Mastère Spécialisé® Éco-conseiller | P35

Introduction

Les déchets organiques représentent un tiers des déchets ménagers. Pourtant valorisables en compost ou en biogaz, ils sont, encore aujourd’hui, éliminés avec les ordures ménagères. Ils en aggravent les impacts environnementaux :

  • En incinération, il faut plus d’énergie pour les brûler que leur combustion n’en fournit (car très hydratés, 50 à 80 % d’eau), ce qui détériore le bilan carbone de la filière et sa production de chaleur.
  • Enfouis en décharge, ils génèrent du méthane (puissant gaz à effet de serre) et provoquent des pollutions des sols : l’eau qu’ils perdent “lessive” les déchets, entraînant nitrates, métaux lourds et autres dans les lixiviats.

    Leur valorisation est donc un enjeu majeur en termes climatiques (baisses des émissions du secteur des déchets), agricoles (substitut aux engrais chimiques), énergétiques (production de biogaz), économiques et sociales (réduction des importations de gaz, filières locales riches en emploi).

Article Biodéchets Ressource

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Dans quelle mesure le tri et la valorisation des biodéchets permettent-ils de répondre aux enjeux climatiques, énergétiques et agricoles auxquels font face les collectivités ?

Après un état des lieux du tri des biodéchets en France, nous aborderons l’évolution historique de la notion de déchet, et son lien avec le développement des villes. Enfin, nous évoquerons les difficultés des collectivités dans l’application de cette nouvelle réglementation et les alternatives plus modestes à la collecte à grande échelle.

I. Où en est le tri des biodéchets en France ?

Depuis 2016, les gros producteurs de biodéchets sont obligés d’organiser leur tri à la source. Au premier janvier 2024, la loi Anti-Gaspillage pour une Économie Circulaire (AGEC) du 10 février 2020 étend la contrainte à tous les producteurs, y compris aux ménages.

Mais qu’est-ce qu’un biodéchet ?

Le code de l’environnement définit les biodéchets comme :
« Les déchets non dangereux biodégradables de jardin ou de parc, les déchets alimentaires ou de cuisine provenant des ménages, des bureaux, des restaurants, du commerce de gros, des cantines, des traiteurs ou des magasins de vente au détail, ainsi que les déchets comparables provenant des usines de transformation de denrées alimentaires. ».

Pour les particuliers, il s’agit principalement des déchets alimentaires et des déchets de jardin.

Que deviennent nos biodéchets ?

Les biodéchets peuvent être compostés ou méthanisés.

Compostés, ils se substituent aux engrais chimiques, dont la production est très émettrice de gaz à effet de serre et qui détériorent la vie des sols.

Méthanisés, le biogaz obtenu peut être consommé localement (chauffage ou alimentation de véhicules) ou injecté sur le réseau, et le résidu (digestat) sert d’engrais naturel.

Ainsi, une tonne de biodéchets permet de produire 0,9 tonne d’engrais naturel et 150 m3 de biogaz (environ 100kg). À titre d’exemple, en 2023, GRDF annonçait avoir injecté sur le réseau, près de 11 Térawattheures de biogaz produit dans 600 installations, de quoi chauffer 2,7 millions de logements BBC.

Qu’implique l’obligation de tri ?

Les entreprises et les institutions doivent inclure le flux des biodéchets dans la gestion de leurs déchets (gestion à 8 flux, en attendant le flux textile en 2025).

Pour les particuliers, ce sont les collectivités (communes ou EPCI) qui sont tenues d’organiser le tri. Elles ont le choix de la filière (compostage ou méthanisation) et de la méthode de collecte (porte à porte ou en apport volontaire) mais ont obligation de mettre à disposition les moyens du tri pour les ménages.

Ni les ménages, ni les communes n’ont d’obligation de résultat sur la valorisation de ces biodéchets qui, pourtant, ont historiquement constitué une ressource précieuse.

II. Par-delà le temps et l’espace, le déchet : une ressource à capitaliser

Du chiffonnage au développement durable : l’histoire des déchets

Article 1 sur les biodéchets | Valorisation des matières au XXème siècle

Jusqu’au XIXème siècle la ville produit peu de résidus et valorise une majorité des matières

Les résidus organiques, un engrais urbain précieux pour les maraîchers (Arch. mun. Angers, 4 Fi 1735)


Les citadins cohabitent avec les animaux : chevaux, poules, lapins, chiens et chats. La consommation des ménages est souvent réduite par des réalités économiques. Fruits et légumes jugés non comestibles aujourd’hui, étaient consommés. Les restes alimentaires servent à nourrir les animaux. Le peu de résidus produits était collecté par une organisation professionnelle (piqueurs, boueurs, tombeliers, biffins ou chiffonniers…).

Article - Biodéchets - P35 Chiffonniers

Les chiffonniers, pionniers du recyclage

(photo Paul Géniaux- Paris, Musée Carnavalet)

La ville, à cette époque, dispose d’une réelle capacité à économiser, collecter et traiter les ressources organiques sur son territoire. Chaque matière retrouvée sur l’espace public est évaluée selon sa valeur de revente ou de transformation. La notion de déchet n’existe quasiment pas.

XIXème siècle : la volonté d’assainir la ville prend le pas sur le recyclage

La croissance démographique urbaine, couplée aux recherches du mouvement hygiéniste, pousse les villes à s’emparer du sujet de la salubrité publique dans leurs politiques d’aménagement.

Paris triple de population en 50 ans, la voirie est pavée, le tout à l’égout généralisé, la gestion des déchets s’inscrit dans les compétences des collectivités.

La boîte à ordure sélective d’Eugène POUBELLE, prometteuse, provoque une levée de boucliers des propriétaires et concierges (chargés de les sortir en vue de leur ramassage) qui achèvera la volonté de recyclage au profit de la poubelle unique, efficace pour la nécessaire évacuation des déchets des centres urbains.

ArticleBiodéchets - P35

La boîte à ordure d’Eugène POUBELLE (Https://pxhere.com)

Trois récipients sont prévus pour effectuer un tri sélectif des matières organiques, des papiers et chiffons, des faïences, verres et coquilles d’huîtres ! 

XXème siècle : le règne de la poubelle unique et de l’incinération

L’industrialisation bat son plein, la quantité de déchets explose et sature les décharges publiques en périphérie des villes. Les engrais agricoles industriels se substituent aux traditionnelles boues urbaines et la valorisation agricole des matières organiques est délaissée.

Après l’échec de la boîte à ordures sélective de M. POUBELLE, la poubelle unique s’installe dans les logements. Face aux limites de la décharge des déchets en périphérie, l’incinération constitue une solution permettant de faire disparaître les déchets des villes.

La loi française consacre la notion de déchet en juillet 1975. Aux antipodes de l’imaginaire collectif de l’époque des chiffonniers, le droit de jeter tout ce que l’on « destine à l’abandon » s’impose en cette fin de siècle.

 

XIXème siècle : vers un nouveau récit ?

La société préindustrielle économisait et valorisait les matières par nécessité. Après un court règne de la poubelle unique et du droit à jeter, la société doit construire un nouveau récit.

La loi AGEC pose les bases pour faire des biodéchets une ressource de la bio-économie locale. Saurons-nous construire un imaginaire collectif autour du vivant, permettant de réduire la dépendance de nos territoires aux énergies fossiles ?

III. De (plus ou moins) bonnes volontés,
mais des idées

Collectivités territoriales : du retard à l’allumage ?

La bioéconomie propose une nouvelle perspective du traitement de la biomasse. En optimisant sa valorisation, elle participe à l’évolution de la représentation du déchet organique. Le biodéchet devient ressource pour la production d’énergie ou l’agriculture. En composte ou en biogaz, on donne une seconde vie au carbone organique. Cela limite le recours au gaz (fossile) et aux engrais chimiques tout en développant les territoires via des filières locales et innovantes qui valorisent les secteurs primaires de l’agriculture et la foresterie.

Le tri des biodéchets, désormais obligatoire pour tous, prend ici tout son sens. Les collectivités sont libres d’opter pour l’outil de leur choix, et le panel est large : collecte en porte-à-porte, point d’apport volontaire, installation de composteurs de quartiers ou en pied d’immeuble, composteurs individuels pour les personnes motivées…

Cependant, si certaines collectivités, comme Strasbourg, ont anticipé cette réglementation, d’autres accusent un retard important sur la mise en place du tri des moyens de tri et de collecte. Fin 2023, moins d’un Français sur trois disposait d’une solution de tri à proximité selon l’Ademe. L’objectif actualisé de 2024 est de permettre à 27 millions de Français.es de trier leurs biodéchets soit 40 % de la population, loin des 100 % de l’objectif initial !

L’ONG Zero Waste France souligne le manque d’anticipation des collectivités, qui connaissaient cet objectif dès 2015, dénonce « le manque de volonté politique de l’Etat pour garantir l’application de cette mesure » et encourage le gouvernement à « fixer des objectifs contraignants et à sanctionner » les collectivités qui ne respectent pas la loi. Aucune sanction n’est prévue à ce jour, malgré un rapport d’alerte de la Commission européenne qui regrette que

« seule une part réduite de la population bénéficie d’un système de collecte séparée » et rappelle que la gestion des biodéchets constitue un levier essentiel pour la réduction des ordures ménagères.

Un frein majeur à la mise en œuvre du tri à la source réside dans son coût. Le faire porter aux ménages met en péril leur adhésion à la mesure. Si l’investissement initial doit permettre, à terme, de réduire le coût global des déchets, il demeure élevé pour les collectivités (7 M€ pour Paris, dont 2 M€ d’aide de l’État).

Il existe cependant des alternatives à la collecte à grande échelle. Elles visent des solutions à échelle réduite, mais sont innovantes et adaptées aux besoins de certains particuliers.

Des alternatives

le composteur de quartier, le composteur individuel de cuisine (lombricompostage, Bokashi…)

Ces alternatives se concentrent sur une échelle plus réduite, celle d’un quartier ou d’un ménage.

Parmi celles-ci nous citerons :

  • Le compostage de quartier, souvent géré par une association avec l’accord de la mairie, participe à la mise en œuvre d’un projet de quartier. Il entretient le tissu social et les liens intergénérationnels. Les dépôts sont cependant plus restreints que dans la collecte des biodéchets gérée par les collectivités (pas d’os, de viande ou de poisson par exemple).
  • Le compostage individuel de cuisine : le lombricompostage utilise des lombrics pour décomposer les biodéchets, et le bokashi accélère la fermentation anaérobie via un activateur bactérien. Ces dispositifs, stockables sur un balcon ou dans un coin de cuisine, sont adaptés aux ménages disposant de peu d’espace.
Article biodéchets P35 tuto

Comment fabriquer un lombricomposteur ?
– Le tuto de Mon Magasin Général (blog.monmagasingeneral.com)

Cependant, la réduction des déchets passe aussi par l’évolution des habitudes individuelles. Si le geste de tri, qui conscientise l’abandon du déchet, est un pas dans la bonne direction, apprendre à conserver et cuisiner les produits frais, à valoriser les épluchures fait aussi partie de la révolution culturelle nécessaire à la transformation globale de la société.

Les recettes de chips d’épluchures, ou de galettes de fanes de carottes se multiplient. Ces résidus réutilisés dans l’alimentation interrogent sur la notion même de déchet. Cependant, ces méthodes requièrent des ajustements logistiques et d’apprendre de nouvelles manières de cuisiner. Cela demande du temps, ressource précieuse et toujours limitée.

Pour conclure

L’évolution législative invite à revoir la notion de déchet. La collecte et valorisation, nécessaires, des biodéchets en fait des ressources, et participent au développement de filières énergétiques locales intégrées avec les secteurs agricoles et forestiers à l’échelle des territoires.

Il convient de repenser les processus de production des déchets en invitant à la réduction des déchets à la source (réutilisation des épluchures, limitation du gaspillage), en parallèle de leur valorisation. S’il y a de l’espoir, un changement de paradigme social et sociétal est nécessaire pour que la collecte des biodéchets et, plus largement, l’évolution vers une économie circulaire prennent vie.

Sources bibliographiques

1      Le dispositif de récupération des biodéchets est un miroir aux alouettes Sabine BARBES – Le Monde – 5 janvier 2024

https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/01/04/sabine-barles-urbaniste-le-dispositif-de- recuperation-des-biodechets-est-un-miroir-aux-alouettes_6209003_3232.html

2      Biodéchets : la généralisation du tri prévue le 1er Janvier 2024 accuse un sérieux retard. Stéphane Mandard –Le Monde – 29 décembre 2023

https://www.lemonde.fr/planete/article/2023/12/29/prevue-le-1-janvier-la-generalisation- du-tri-des-biodechets-accuse-un-serieux-retard_6208237_3244.html

  • L’histoire des ordures : de la préhistoire à la fin du dix-neuvième siècle. Marine Béguin Vertigo, la revue électronique de l’environnement, Volume 13 Numéro 3 Décembre 2013 https://journals.openedition.org/vertigo/14419

4      Eugène Poubelle : 6 dates à connaître sur l’inventeur des boîtes à ordures. Magazine Géo, Camille Moreau – 15/04/2021

https://www.geo.fr/histoire/eugene-poubelle-6-dates-a-connaitre-sur-linventeur-du-bac-a-dechets-204450

7      La bioéconomie : nouvelle vision du vivant. Ministère de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire – 3 juin 2019 https://agriculture.gouv.fr/la-bioeconomie-nouvelle-vision-du-vivant

8      Tri des biodéchets, pourquoi s’y préparer dès maintenant ? Ademe Magazine – novembre 2021 (consulté en janvier 2024) https://infos.ademe.fr/magazine-novembre-2021/dossier/tri-des-biodechets-pourquoi-sy- preparer-des-maintenant/

9      Transition énergétique et valorisation des déchets : une contribution à la souveraineté

énergétique de plus de 30 TWH à l’horizon 2030. Fédération Nationale des Activités de la Dépollution et de l’Environnement FNADE (consulté en janvier 2024)

https://www.fnade.org/fr/kiosque-agenda/cp/4719,transition-energetique-et- valorisation-des-dechets-une-contribution-a-la-souverainete-energetique-de-plus-de- 30TWh-a-horizon-2030

10  Comment valoriser les biodéchets ? GRDF (consulté en janvier 2024)

https://www.grdf.fr/gaz-vert/energie-transition-ecologique/valorisation-dechets

11  De l’assiette à la chaudière : le parcours des biodéchets dans l’Eurométropole de

Strasbourg. Rue 89 – Camille Balzinger – 20 novembre 2023 https://www.rue89strasbourg.com/methanisation-biodechets-eurometropole-285271

12  BIODECHETS La tri bonne idée. Libé des solutions – Coralie Schaub – 30 décembre 2023 https://www.liberation.fr/environnement/pollution/recyclage-obligatoire-au-1er-janvier- 2024-comment-le-tri-et-la-collecte-des-biodechets-sorganisent-en-france- 20231229_HG75GEFDNZFIHLLXPT5UFKUALU/

13  Bokashi ou Lombricomposteur. Home Jardinage – non daté https://homejardinage.fr/bokashi-lombricomposteur/

14  Compostage en ville : les règles pour se lancer. Que Choisir – 25 août 2016

https://www.quechoisir.org/conseils-compostage-en-ville-les-regles-pour-se-lancer- n22251/

15  Le bioéconomie, nouvelle vision du vivant. Ministère de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire – 3 juin 2019 https://agriculture.gouv.fr/la-bioeconomie-nouvelle-vision-du-vivant

16  Projet Méthanisation. GRDF, mis à jour des chiffres septembre 2023, consulté le 13 juin 2019 https://projet-methanisation.grdf.fr/landing-

page/media?utm_source=google&utm_medium=search&utm_campaign=biomethane2 4&gad_source=1&gclid=CjwKCAiAzJOtBhALEiwAtwj8tvhTHRY0rAZ3d3S8dAg6716xp4tWBA

_kUvuKD-OmavvB_izMMzDEmRoCyD4QAvD_BwE

16 Réduire et trier les biodéchets. Zero Waste France, Dossier thématique onsulté le 13 janvier 2024 https://www.zerowastefrance.org/demarche-zero-waste/composter-et-trier-les- biodechets/

16 Le potentiel énergétique de nos poubelles. Ministère de l’agriculture, consulté le 13 juin 2024 https://agriculture.gouv.fr/le-potentiel-energetique-de-nos-poubelles

Pour aller plus loin :

Mot de la promo P35 : Frédéric ADOLF, Gérard BOZEC, Emilia VOGTENBERGER – 24 janvier 2024

Biodéchets et ressources

biodéchets : épluchures dans un composteur (Uns. Banque d’image libre de droits, janvier 2024)