Escalade de la désobéissance civile face à l’urgence climatique


Par Marion SPIELBERGER et Fanny TRÉCOURT

Étudiantes en Mastère Spécialisé® éco-conseiller, Promotion 34

La désobéissance civile, qu’est-ce que c’est  ?

On peut définir la désobéissance civile comme une “action militante, généralement pacifique, consistant à ne pas se soumettre à une loi pour des motifs politiques ou idéologiques.” (1) ou, comme “l’acte d’infraction conscient et intentionnel, public et collectif, d’une norme juridique, utilisant normalement des moyens pacifiques, faisant appel à des principes éthiques, avec acceptation volontaire des sanctions et poursuivant des fins innovatrices” (2).

La désobéissance civile a été conceptualisée par le philosophe naturaliste américain Henry David Thoreau dans son essai La Désobéissance civile, publié en 1849. Cet ouvrage fait suite à son emprisonnement, alors qu’il refuse de payer une taxe à l’État américain, destinée à financer la guerre contre le Mexique.

Article-Mot de la promo5_Désobéissance civile
La Désobéissance civile_Thoreau

Extrait de son ouvrage : “Je pense que nous devrions être d’abord des hommes, et ensuite des sujets. Il est moins souhaitable de cultiver le respect de la loi que le respect du bien moral.
La seule obligation que j’ai le droit de suivre est celle de faire en tout temps ce que je pense être le bien”
(3).

 

Après sa mort, les écrits de Thoreau se répandent et inspirent de grandes personnalités politiques. Ainsi, Mahatma Gandhi en Inde, le militant des droits civiques Martin Luther King ou encore la figure emblématique de la lutte contre l’apartheid Nelson Mandela ont utilisé la désobéissance civile et la lutte non-violente, permettant des avancées significatives dans leurs combats respectifs.

L’appropriation de cet outil par les mouvements écologistes n’est pas nouvelle, toutefois,  les actions en faveur d’une prise en compte de l’urgence climatique tendent à augmenter et à s’accélérer face à l’épuisement des moyens légaux d’interpellation des politiques. Pétitions, marches pour le climat ou rapports scientifiques n’ont jusque-là mené à aucune prise en compte sérieuse des enjeux par les gouvernements successifs. Pourtant, en 2019, plus de 2 millions de citoyens, avec l’aide de 4 organisations de protection de l’environnement et de solidarité internationale, ont attaqué l’État français en justice pour inaction climatique dans le cadre de l’Affaire du siècle (4).

Face à l’inaction des gouvernements, certains citoyens se sentent prêts à enclencher un nouveau rapport de force et à prendre des risques judiciaires pour faire entendre leurs voix. L’émergence de nouvelles organisations, telles qu’Extinction Rebellion (5) ou plus récemment Dernière Rénovation ont illustré ce mouvement.

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Les énergies fossiles,
au cœur des actions actuelles

EACOP, une lutte contre le Goliath français

Le 25 mai 2022, le déroulement de l’Assemblée Générale de TotalEnergies s’est vu perturbé par des ONG environnementales, et ce, malgré une sécurité renforcée. En effet, l’entrée principale du bâtiment a été bloquée par 250 militants, menottés les uns aux autres et déployant une large banderole “Stop projets énergies fossiles”. Cette action de désobéissance civile avait pour but d’empêcher les actionnaires de l’entreprise française d’accéder à l’Assemblée Générale, mais surtout de réclamer la fin de tout nouveau projet d’énergies fossiles. La majorité des actionnaires ont été contraints de rester dehors, et de nombreux sièges sont restés vides lors de cette réunion (6, 7).

Les ONGs et la presse ont mis en lumière un des projets les plus climaticides porté par Total Energies : un oléoduc (East African Crude Oil Pipeline) de plus de 1400 km traversant les terres, dont des parcs nationaux, de l’Ouganda et de la Tanzanie. Il entraînerait d’importantes conséquences environnementales, mais aussi des déplacements de populations locales, sans parler des répercussions néfastes sur la biodiversité et les sources d’eau potable se trouvant aux abords de l’oléoduc.

Grâce à la mobilisation de la coalition STOP EACOP et leurs actions répétés, 15 banques, 7 assureurs et 1 fond d’investissement parmi les financeurs habituels de Total se sont engagés à ne pas financer le projet le mettant ainsi en péril. Si la mobilisation a réussi à retarder le processus, le groupe français souhaite aujourd’hui accélérer les travaux pour un lancement en 2025.

Le jet de soupe,
premier pas vers la radicalisation ?

Le 14 octobre 2022, deux militantes du mouvement britannique Just Stop Oil ont jeté de la soupe de tomate sur l’un des tableaux de la série des Tournesols de Vincent van Gogh exposé à la National Gallery à Londres, avant de préciser leur message. Les deux activistes, qui savaient l’œuvre protégée par une vitre, n’ont pas endommagé la toile.
À travers ce geste, elles demandent au gouvernement de stopper tout nouveau projet d’extraction de combustibles fossiles et dénoncent l’inaction politique dans un contexte d’inflation (8, 9). Leur procès est programmé le 13 décembre 2022 pour dégradation (10).

Les réactions ont été vives et massives parmi les médias et les individus, marquées par une incompréhension et portant principalement sur la forme de l’action plutôt que sur le fond du sujet. De manière plus inhabituelle encore, certains écologistes ont fermement critiqué cette utilisation de l’art au détriment du message, selon eux. 

Du point de vue de Just Stop Oil le succès est évident puisque l’action a été hypermédiatisée permettant même à Phoebe Plummer, l’une des activistes impliquées, de s’exprimer sur la BBC au sujet des énergies fossiles (11).
La méthode a par ailleurs inspiré de nombreux activistes à travers l’Europe, avec un jet de purée sur un tableau de Monet en Allemagne ou un jet de soupe sur une autre œuvre de Van Gogh en Italie (12), mais l’attention médiatique n’a pas été autant au rendez-vous.

Peut-on désormais parler d’écoterrorisme ?

Le terme n’est pas nouveau, mais il n’existe pas, à l’heure actuelle, dans la loi française et surtout ne semble pas traduire la réalité du militantisme écologiste.

Pourtant, le ministre de l’Intérieur n’a pas hésité à utiliser ce néologisme (13), dans le contexte de la manifestation contre les méga-bassines des Deux-Sèvres, au cours de laquelle de graves comportements de violence ont été observés, mais qui étaient le fait d’une minorité de participants. La radicalisation et l’isolement de tout mouvement est un sujet dont il faut se préoccuper, néanmoins dans le cas de l’écologie, aucun indicateur ne semble faire craindre une telle dérive. L’ouverture est de mise lorsqu’il s’agit de co-construire le monde de demain.

Bibliographie

Sources :

Ouvrage de référence :

Henry David Thoreau, “La désobéissance civile”, 1849

Sitographie :

Mr Mondialisation :
https://mrmondialisation.org/la-desobeissance-civile-lheritage-dhenry-david-thoreau/

Vidéographie :