Projetons-nous vers un monde low-tech
Face au défi climatique et à la nécessité de diminuer notre empreinte carbone, on nous présente « Un plan d’investissement massif pour faire émerger les futurs champions technologiques de demain et accompagner les transitions de nos secteurs d’excellence, automobile, aéronautique, spatial » – Emmanuel Macron1.
Les scientifiques du GIEC sont unanimes, un monde couvert de “high tech” sous perfusion par une croissance verte infinie ne nous sauvera pas des conséquences du réchauffement climatique. Et si malgré cet imaginaire collectif, une autre alternative était possible pour relever ce défi, « Et qui sait, peut-être viendra l’âge des low-tech avec une civilisation techniquement responsable » – Philippe Bihouix2
Photo 1 : L’appartement avec ses occupants
Pour celles et ceux qui n’ont en jamais entendu parler, les low-tech ou « basse technologie » s’appliquent à des objets, des systèmes, des techniques, des services, des savoir-faire, des pratiques, des modes de vie et même des courants de pensée utiles, durables et accessibles.
Concrètement, selon le Low tech lab, une technologie est qualifiée de low-tech lorsqu’elle est simple, qu’elle répond à un besoin de base et qu’elle est conçue à partir de ressources renouvelables et locales, avec le plus petit impact écologique et social possible. Elle est également accessible à tous et basée sur un principe de fonctionnement simple avec des pièces modulaires et réparables. Les technologies low tech sont basées sur le partage des données à titre gratuit.
Dès maintenant, nous vous emmenons en 2050 à Strasbourg, ville de 300 000 habitants, afin de découvrir quelle pourrait être notre vie avec ce nouveau paradigme. Nous allons suivre la journée de 9 résidents d’un immeuble de 2 étages.
Photo 2 : Briquette de bio-charbon
Si nous connaissons déjà le concept d’habitat participatif et partagé, apparu en ville dès le début du 21ème siècle, celui-ci est devenu la norme dès 2035. Cette façon d’habiter la ville s’est accompagnée d’un renforcement des quartiers qui regroupent alors tous les services nécessaires à la vie quotidienne de ses habitants.
4h du matin, le réveil sonne pour Gwendal, l’artisan paysan-boulanger du quartier qui doit se rendre dans sa boulangerie. Il fabrique sa propre farine à partir de semences anciennes qu’il cultive lui-même, sur le site d’une ancienne friche industrielle en périphérie de Strasbourg.
Depuis que les céréales anciennes sont revenues, les personnes intolérantes au gluten ont pu, pour leur plus grand plaisir, réintroduire le blé dans leur alimentation. Une fois ses pains confectionnés, il les enfourne dans son four traditionnel chauffé au bio-charbon issu de résidus agricoles telle que la paille additionnée à de l’argile et des coques de noix3.
7h, Céline retraitée et bénévole dans l’AMAP Mirabelles et Coccinelles, vient récupérer à vélo-cargo les pains chez Gwendal pour les distribuer avec les paniers hebdomadaires de fruits et légumes. Sur le retour en direction de l’AMAP, elle croise Raoul, lycéen de 18 ans qu’elle héberge car ses parents habitent trop loin du lycée ainsi que Timéo et Maélys, les enfants de Bénédicte et Cyprien. Ils partagent le même lieu d’apprentissage, le Laboratorium, qui vise à les éveiller, les divertir et les former.
Ce jour, ils vont retrouver Jade, la colocataire de Gwendal et de Gaby qui est étudiante en finance éthique. Jade est la directrice de Brico-tech, atelier bois partagé qui permet de créer différents objets à base de bois et de faciliter l’autopartage de matériel.
Aujourd’hui, les jeunes vont apprendre à construire eux-mêmes, avec le soutien de Jade, une éolienne. La structure est entièrement en bois et les pales sont construites en lamellé-collé issu d’un arbre provenant de la forêt communale gérée durablement.
L’avantage d’utiliser cette ressource renouvelable est d’emprisonner le carbone dans la structure. L’objectif est de produire l’électricité là où elle est consommée en limitant les pertes de flux énergétique4.
Photo 3 : Circuit électrique de l’éolienne
L’atelier est terminé, tout le monde se regroupe à la cantine du quartier : les enfants et adolescents du Laboratorium, les salariés des entreprises, les artisans et les habitants du quartier. Toute personne disponible peut d’ailleurs venir cuisiner pour tous, il s’agit d’un lieu collaboratif et ouvert.
Photo 4 : La marmite norvégienne
Aujourd’hui, au menu c’est une potée de légumes, avec des lentilles et du blé concassé, le tout cuisiné à la marmite norvégienne. Cette technique consiste à placer les aliments dans un récipient lui-même contenu dans un réceptacle isolant. Il est d’abord chauffé de façon traditionnelle à la gazinière, qui est alimentée par du biogaz issu du méthaniseur du quartier.
Il est ensuite placé dans le réceptacle isolant où les aliments peuvent y finir de cuire de façon autonome, sans nouvelle dépense d’énergie5. La cuisinière profite du soleil du jour pour préparer des tartes aux pommes qui seront cuites dans les fours solaires6.
Pendant ce temps, Bénédicte vient tout juste d’arriver à l’immeuble où vivent nos habitants ; elle est installatrice et réparatrice d’appareils énergétiques. Cette après-midi, elle va faire l’entretien du chauffe-eau solaire commun, cette installation d’une surface de 9m2 n’est pas positionnée sur le toit (risque de surchauffe l’été) mais au pied de l’immeuble avec un angle de 60 degrés. Elle permet d’alimenter en eau chaude les 3 logements de l’immeuble. La quasi-totalité des matériaux est issue de la récupération, par exemple nous avons utilisé les portes d’un réfrigérateur pour les mousses isolantes. Les jours où la température n’est pas assez élevée, une résistance électrique alimentée par le réseau, doit être activée manuellement, afin de chauffer l’eau du ballon7.
Aujourd’hui, elle va également remplacer le clapet anti-retour du bélier hydraulique qui permet de monter l’eau de la rivière jusqu’au grenier et de compléter ainsi la cuve d’eau de pluie sans l’aide d’une pompe électrique. Cette cuve assure les besoins en eau courante des habitants : douche, vaisselle, ménage et pour la boisson (après filtration par du charbon actif)8.
Photo 6 : Fonctionnement du bélier hydraulique
Avant de poursuivre son après-midi dans un autre logement partagé pour réparer le filtre d’une machine à laver collective, elle va simplement contrôler, en prévention des températures fraîches, le bon fonctionnement du capteur à air9 qui sert à chauffer l’air ambiant de certaines pièces de l’immeuble. Ce mode de chauffage permet de transformer le rayonnement solaire en chaleur grâce à un corps en ardoise qui capte et redistribue l’air chaud. Ce capteur aspire l’air de l’habitat par le bas, le chauffe grâce au soleil puis le restitue à l’habitat par la sortie haute à une température pouvant atteindre 70 degrés.
Au moment de la conception de ce chauffage nous avons ciblé 3 pièces principales d’un volume de 106m3. Ce volume nécessite le dimensionnement d’un capteur à air d’une surface de 8,3m2.
Pendant ce temps, Marion, en couple avec Céline, et aujourd’hui retraitée et bénévole dans un atelier de réparation de vélo, vient préparer sa lessive. Chaque appartement bénéficie de 2 journées par semaine pour utiliser la machine commune basée au sous-sol.
En fonction de la saison, elle utilise soit de la lessive au lierre10 soit au charbon de bois. En début de semaine, c’est cette dernière qu’elle a préparée, il lui reste une dernière filtration avant de pouvoir l’utiliser.
Elle ajoute également un peu de bicarbonate de soude pour renforcer l’élimination des tâches de fruits sur les tabliers de Céline et les tâches de graisse sur ses bleus de travail. Et surtout elle n’oublie pas le vinaigre blanc dans l’eau de rinçage, le linge ressort tout doux ! Une fois, la lessive terminée, elle ira l’étendre dans le grenier car au moindre rayon de soleil, il fait tout de suite bien chaud et il est toujours ventilé.
Rendons-nous maintenant dans l’atelier de Cyprien qui est couturier et anime des ateliers de création et de réparation. Toutes ses machines à coudre sont reliées à un pédalier de vélo ce qui permet d’utiliser l’énergie mécanique plutôt qu’électrique, de faire de l’exercice physique de manière utile et agréable ainsi que de pouvoir réparer très facilement ses machines. Elles sont modulables et servent également de perceuses à colonne et de meuleuses11.
Photo 8 : Pédalier utilisé
pour de nombreuses fonctions
L’atelier du jour consiste à fabriquer des serviettes hygiéniques en partenariat avec la commune afin d’équiper les jeunes filles du Laboratorium. Elles sont faites à partir de tissus en coton provenant du Gers.
16h30 Maélys appelle sa mère pour la prévenir qu’elle et Matéo ne rentreront qu’à 18h, car le Laboratorium propose un grand jeu dehors pour profiter du soleil. Elle l’appelle avec son téléphone portable qui ressemble plus au Nokia de la fin des années 90 qu’aux smartphones des années 2020 !
Mais l’important est de rester en contact à tout moment de la journée, pas de jouer sur un écran en permanence. Quand ils veulent jouer, ils utilisent un ordinateur tactile commun à l’immeuble.
Mais il est maintenant bientôt l’heure du dîner, retournons donc dans notre immeuble pour voir ce qu’il y a dans le garde-manger. En effet, dans cette habitation : plus de frigo américain de 200 l. branché sur secteur pendant toute l’année, mais un ensemble de garde-mangers ultra-ingénieux. Les fruits & légumes, qui ont simplement besoin d’aération sans trop d’humidité pour être conservés, sont disposés sur des lattes en bois espacés de quelques centimètres.
Un second espace aéré, et celui-ci à l’abri de la lumière, pourra accueillir les tubercules comme les pommes de terre et les oignons. Ensuite, pour les aliments qui nécessitent une ambiance sombre, fraîche et humide, un caisson en bois est installé côté nord donnant sur l’extérieur avec une fenêtre donnant sur le logement. Quand les températures augmentent les habitants disposent d’un petit réfrigérateur commun situé à la cave et consommant peu d’énergie12.
Après cette bonne journée bien remplie direction la douche, chaque foyer en possède une. Celle-ci est branchée au réseau d’eau chauffée par le chauffe-eau solaire et elle permet également de recycler l’eau utilisée avec un circuit fermé.
La douche possède un réservoir d’eau d’environ 10 l. situé sous le bac de douche qui permet aux usagers s’ils le souhaitent, d’utiliser l’eau de la douche pour se détendre. Pour cela, ils doivent actionner une vanne permettant de couper l’arrivée d’eau du réseau pour pomper, filtrer, chauffer et alimenter le pommeau avec l’eau de la réserve. Dans chaque habitation, il y a également des toilettes à litière bio maîtrisée (TLB) ou plus communément des toilettes séches13. La litière est ensuite utilisée en compost et approvisionne le jardin partagé. Chaque foyer a fait une économie de ressource en eau de 20 % en moyenne pour les toilettes et de 40 % pour la douche en comparaison avec l’année 2021.
Pour tout l’immeuble, un traitement de l’eau par phytoépuration13 a été mis en place dans le jardin. Ce filtre naturel ne consomme pas d’énergie électrique (brassage, bullage, pompe…) et ne demande pas d’entretien complexe tel que la vidange des boues et son acheminement vers un lieu de traitement. Chaque habitant de l’immeuble est bien conscient que certains produits tels que les huiles usagées, les peintures, les solvants, les hydrocarbures, les médicaments, les produits d’entretien… comportent des risques importants pour l’environnement, car ils ne seront que peu ou pas pris en charge par le système d’assainissement (cela était déjà le cas en 2021).
Photo 10 : Système de phyto-épuration
C’est pour cela que les habitants n’utilisent que des produits avec des molécules simples qui seront facilement dégradées par les bactéries comme du savon 100 % végétal, de la cendre, du bicarbonate de sodium ou du vinaigre blanc.
La journée se termine dans ce quartier de Strasbourg, tous les habitants sont conscients que leur empreinte écologique sur cette planète a fortement diminué depuis plusieurs années et qu’ils vivent désormais dans un monde plus durable pour leurs enfants.
Julie DUBOIS, Isabelle LETT, Jean GIGONNET
Notes :
- Emmanuel Macron, site internet de l’Élysée, présentation du plan France 2030, publication du 12 octobre 2021
http://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2021/10/12/presentation-du-plan-france-2030 - Philipe Bihouix – L’âge des Low tech – Editions du Seuil – 2014
- Site de l’association Low Tech Lab, « Bio charbon » Les outils – Le wiki / les tutos – https://wiki.lowtechlab.org/wiki/Bio_Charbon
- Site de l’association Low Tech Lab, « Éolienne » Les outils – Le wiki / les tutos – https://wiki.lowtechlab.org/wiki/Eolienne_200W
- Site de l’association Low Tech Lab, « Marmite norvégienne » Les outils – Le wiki / les tutos – https://wiki.lowtechlab.org/wiki/Marmite_norvégienne
- Site de l’association Low Tech Lab, « Multicuiseur solaire » Les outils – Le wiki / les tutos – https://wiki.lowtechlab.org/wiki/Multicuiseur_solaire
- Site de l’association Low Tech Lab, « Chauffe eau solaire » Les outils – Le wiki / les tutos – https://wiki.lowtechlab.org/wiki/Chauffe_eau_solaire
- Site de l’association Low Tech Lab, « Bélier hydraulique » Les outils – Le wiki / les tutos – https://wiki.lowtechlab.org/wiki/Bélier_hydraulique
- Site de l’association Low Tech Lab, « Chauffage solaire » Les outils – Le wiki / les tutos – https://wiki.lowtechlab.org/wiki/Chauffage_solaire_version_ardoise
- Site de l’association Low Tech Lab, « Lessive au lierre » Les outils – Le wiki / les tutos – https://wiki.lowtechlab.org/wiki/Lessive_au_lierre
- Site de l’association Low Tech Lab, « Pédalier multifonction » Les outils – Le wiki / les tutos – https://wiki.lowtechlab.org/wiki/P%C3%A9dalier_multifonction
- Site de l’association Low Tech Lab, « Garde manger » Les outils – Le wiki / les tutos – https://wiki.lowtechlab.org/wiki/Garde-Manger
- Site de l’association Low Tech Lab, « Toilettes sèches » Les outils – Le wiki / les tutos – https://wiki.lowtechlab.org/wiki/Toilettes_sèches_familiales
- Site de l’association Low Tech Lab, « Épuration eaux usées » Les outils – Le wiki / les tutos – https://wiki.lowtechlab.org/wiki/Phyto%C3%A9puration_eaux_us%C3%A9es
Auteur.ices : J.D, I.L, J.D
Lien vers profils Isabelle et Jean : https://ecoconseil.org/portraits-etudiants-p33
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