Enseignante à l’école élémentaire Sainte Madeleine à Strasbourg, Mercè CASARRAMONA a mis en oeuvre des méthodes d’enseignement novatrices en tirant parti de la cour de l’école, avant même le  projet de transformation et de végétalisation. Découvrez son témoignage !

     Vous êtes aujourd’hui enseignante, mais quels sont vos souvenirs d’élève ?

J’ai grandi à Barcelone en Espagne et j’étais dans une école laïque, assez progressiste. C’était les années 80, il existait une certaine ébullition chez les enseignants. Ils m’ont proposé une réelle ouverture sur le monde ; je me souviens qu’au CM2, on avait déjà évoqué la question de la sexualité par exemple. On nous encourageait aussi au recyclage, en particulier du papier : quatre dictées devaient tenir sur un recto-verso !

Mais j’ai compris, lorsque je suis devenue moi-même enseignante, qu’il y avait aussi des lacunes dans l’approche de la psychologie de l’enfant : on n’encourageait pas les enfants différents, qui pouvaient même être fortement stigmatisés.

En ce qui me concerne, j’aimais l’école, mais surtout m’amuser avec mes copines, je n’étais pas spécialement exemplaire ! Mais je garde beaucoup de souvenirs précis des projets que l’on faisait et des apprentissages qui y étaient liés.

Parlez-moi de votre expérience dans la cour de récréation de votre enfance !

Je me souviens d’une grande zone en sable, qui était souvent mouillée en partie, on faisait plein de constructions et de chemins pour des voitures. On se dépensait, on s’amusait, on jouait avec des pneus. Il y avait une vraie ambiance de liberté, les adultes n’étaient pas derrière nous en permanence : ils prenaient leur café et nous laissaient tranquilles. C’est pourquoi, en arrivant en France, j’ai été étonnée par tous les interdits imposés aux enfants, comme ne pas jouer dans les flaques d’eau !

Les garçons et les filles étaient bien séparés : les garçons occupaient le terrain de foot et nous, le terrain de base-ball : on jouait avec des balles en papier alu, l’emballage de notre goûter du matin, pendant que d’autres enfants jouaient au milieu de notre jeu ! Les garçons ne nous laissaient pas nous mêler à leurs jeux.

l'année en jardinage toute l'année

La cour actuelle de l’école élémentaire Sainte Madeleine, au coeur du quartier de la Krutenau

A l’école élémentaire Saint Madeleine, où vous êtes enseignante, quelle est votre perception de la cour actuelle ?

Notre cour actuelle est très classique, avec du macadam et quatre arbres. Elle accueille des élèves de CE2, CM1 et CM2, mais elle est très pauvre, sans aucune structure, si ce n’est des paniers de basket et un terrain pour des jeux de ballons en plein milieu. Mes élèves regardent la cour de l’école maternelle, qui a été végétalisée récemment !

Pour beaucoup d’élèves, cette cour est un lieu de défoulement : on court, on crie… mais je n’ai pas l’impression qu’elle soit un espace de bien-être pour tous. Il y a souvent des disputes, les enfants ont du mal à s’organiser, à se mettre d’accord. Ils avaient à un moment apporté des cordes à sauter, des élastiques, mais ça ne dure pas, ça passe…

C’est pourquoi nous avons mis en place récemment un temps hebdomadaire de jeux dans un espace dédié de la cour, pour que les enfants jouent avec des ballons, des cerceaux. C’est positif, même si cela ne permet pas d’interactions entre les différentes classes.

La cour ne sert que d’espace de détente durant la récréation, mais n’a pas d’autre usage, sinon pour le sport. Les enseignantes ont mis en place des plantations avec les élèves. Quant au périscolaire, le centre socio-culturel du CARDEK, il propose beaucoup de choses, comme des observations d’oiseaux. Mais c’est dans la cour maternelle !

Malgré cela, vous avez mené des expériences nouvelles dans votre cour. Racontez-moi !

Il y a d’abord eu l’expérimentation des mesures…

J’ai commencé à investir l’espace de la cour en raison des contraintes de l’espace de la classe. Au CM1 on travaille sur les grandeurs supérieures au mètre. Or dans l’apprentissage des mesures, il est très important que les élèves disposent d’un point de référence, pour être capables d’estimer les distances par exemple. Le centimètre, c’est comme la largeur de l’ongle, le mètre ça fait comme un câlin (bras écartés). Mais comment faire comprendre les plus grandes distances ?

Pour le décamètre (10m), on a été obligés d’aller dans le couloir. Avec une bande dorée, ils ont pu le mesurer. Ensuite, je leur ai donné une ficelle encore plus longue et ils ont dû aller dans la cour et mesurer l’hectomètre (100 m). C’est un travail d’équipe, tout le monde doit être au travail, sans être les uns sur les autres : c’est ce que permet la cour !

Les élèves de CM1 ont sorti tous leurs outils pour mesurer un décamètre dans le couloir de l’école

En plus, cela me permet de gérer le double niveau : pendant ce temps-là, les CM2 sont occupés à faire de la grammaire, assis par terre. Ils sont contents, ça les sort des habitudes de la classe !

Je suis enseignante depuis 6 ans seulement et j’aime tester des choses pour les améliorer.

Cette année, je voudrais sortir de l’école en commençant dans la cour, pour leur faire mesurer le parcours du kilomètre solidarité qu’ils courent tous les ans. Je trouve important d’être dans le concret, de créer des repères, car les élèves en ont besoin. C’est nécessaire de bien connaître son territoire, de se créer une petite base de données sur laquelle pouvoir comparer de nouvelles situations.

Les élèves de CM2, occupés à leurs exercices de grammaire

Les élèves occupés à découvrir et « aspirer » les petites bêtes du côté du compost de l’école maternelle

Ensuite un travail sur la biodiversité.

Les enfants doivent voir ce qu’on trouve ici, classer les espèces qui sont autour de nous. C’est tout aussi intéressant que de parler de l’ours polaire ! La cour d’école permet cela, même si elle n’est pas très fournie.

J’ai eu la chance de participer aux expériences du Jardin des Sciences et donc de me former. La séquence commence avec cette question : trouve-t-on le même type d’animaux dans notre cour d’école que dans un jardin ? A partir de là, on découvre la petite faune, mais aussi la structure du sol. Nous avons récolté différents types de sols de milieux urbains dans des sachets, pour comparer une cour minérale, une cour déminéralisée depuis un an et un terrain sauvage. On les a ouverts et on a regardé ce qu’on trouvait. Ensuite, on a fait différentes expériences avec des « aspirateurs à insectes » On a trouvé des gendarmes, des fourmis surtout et des larves de coccinelles. Cela permet aux enfants de se familiariser avec les petites bêtes sans en avoir peur ou être dégoûtés. J’ai constaté qu’ils sont devenus plus curieux ! On a classé les découvertes, on a fait un tableau à doubles entrées, des pourcentages….

Par la suite j’ai proposé un exercice d’imagination pour concevoir une nouvelle cour plus en accord avec la biodiversité.

J’ai donné une photo aérienne de la cour, comme s’ils étaient architectes, pour imaginer leur cour. C’était une façon pour moi d’évaluer ce qu’ils avaient compris et retenu sur cette longue séquence d’apprentissage en sciences. Certains enfants ont compris que la cour actuelle n’était pas idéale pour la biodiversité et ont proposé un espace potager… d’autres n’ont pas voulu se détacher de la cour telle qu’ils la connaissent. Certains ont aussi proposé des tyroliennes et des piscines, ce qui a suscité l’interrogation de certains élèves sur l’utilité d’une piscine pour améliorer la biodiversité dans la cour !…  On a ensuite fait une présentation aux parents, puis aux autres classes. Les exposés ont été très appréciés, des adultes comme des enfants. C’était aussi un très bon exercice de français !

Au vu de ces expériences, quel message souhaitez-vous faire passer aux enseignante.s pour qu’ils et elles investissent aussi leur cour de récréation ?

D’abord, il faut être conscient que les apprentissages en extérieur sont très bénéfiques pour les enfants.

Ce sont des conditions de travail agréables pour eux. Ils ont aussi besoin d’être moins longtemps enfermés ! Comme ils bougent, ils sont plus motivés, c’est moins fastidieux, leur attention dure plus longtemps.

En même temps, c’est très fédérateur. Dans la salle de classe, chacun est sur son bureau et travaille au maximum avec son voisin ou avec les camarades de son ilot, mais alors ils sont obligés de parler plus fort, ce qui augmente encore le niveau sonore. Déjà, dans le couloir, les enfants vont s’aider, expliquer, coopérer, donc dans la cour, c’est encore mieux ! L’année dernière, mon groupe de CM1 ne s’entendait pas vraiment bien, il y avait beaucoup d’histoires. Mais dehors, tout le monde était au travail ! Ils se sont organisés et ont tous participé. Cela permet d’apprendre la coopération, d’avoir des activités où il n’y a pas de perdants ni de gagnants. Quand on est allés en forêt, j’ai constaté aussi qu’il y avait une meilleure entente entre eux.

Ensuite, Il faut permettre aux enfants de s’approprier la cour.

Aujourd’hui, la cour est l’espace de tout le monde et de personne à la fois. Lors de nos expériences scientifiques, nous avons posé des pièges à petites bêtes dans la cour. Nous sommes allés expliquer aux autres classes qu’il était important de ne pas y toucher. Mais cela n’a pas fonctionné. Des collègues ont fait pousser des fraisiers, qui n’ont pas été respectés non plus. Je pense que cela montre que la cour n’est pas un espace qui les concerne. Nous devons les amener à réfléchir : Est-ce à moi ? Comment je fais attention à cet espace ? Pour que l’espace soit vécu de manière moins individuelle, mais en lien les uns avec les autres, pour mieux respecter ce que chacun fait.

A l’école maternelle Gustave Doré, chasse au trésor des éléments naturels dans la cour

Quelles sont vos envies pour la future cour de l’école ?

J’ai plein d’idées pour la déminéralisation ! J’aimerais que les enfants puissent faire de vraies propositions, participer aux réunions, s’impliquer. Certains élèves souhaitaient agrandir la cour, ça m’a fait réfléchir… l’idéal serait de pouvoir être deux ou trois classes pour travailler ensemble en même temps.

J’aimerais que les élèves puissent faire toutes sortes d’activités, comme en Allemagne, grimper par exemple. Mais je sais que cela fait très peur aux enseignants pour des raisons de sécurité et de responsabilité. Il faudrait qu’en « haut lieu » cette question puisse évoluer aussi.

On pourrait proposer une zone de jeux, pour courir, bouger, avoir des structures pour escalader, se cacher… On en trouve parfois en maternelle, mais ça disparaît au CP, alors que les enfants ont encore besoin de bouger ! Mais sans que ça prenne toute la place ! Car actuellement, ceux qui ne veulent pas courir doivent rester contre le mur. Il faut donc délimiter les zones à « haute activité physique ».

Prévoir des coins lecture : j’ai des élèves qui partent en récréation avec leur bouquin et qui ont juste envie d’être tranquilles. Il faut que chacun puisse trouver son activité ou être avec les copines, partager son goûter.

J’ai visité l’école Gustave Doré, déjà végétalisée et ce qui m’a beaucoup plu, c’est la quantité de nature. Il est important pour les enfants de voir les saisons se dérouler au cours de l’année, voir que la cour change. J’aimerais disposer d’un espace où l’on puisse regarder, si des oiseaux viennent, explorer la petite faune… Se sentir comme dans une petite forêt !

J’aimerais aussi expérimenter le jardinage avec les enfants. En arts plastiques, on pourrait faire de l’observation, prendre le temps…