À l’occasion d’un Colloque tenu lors du Festival « Enfance et Nature » le 30 janvier 2023, Maurice Wintz, Maître de conférences en sociologie rurale et de l’environnement à l’Université de Strasbourg, proposait des pistes de réflexion sur nos représentations de la nature, en tant qu’urbains du 21e siècle.
Quel est aujourd’hui notre rapport à la nature ?
Dans un premier temps, il faudrait pouvoir définir ce qu’est « la nature ». Mais comme c’est assez délicat, je vous propose de nous intéresser plutôt à la notion « d’état de nature ». C’est-à-dire l’état dans lequel se trouve la nature, à un moment donné de son évolution.
Ceci en fonction de l’influence de deux dynamiques : d’une part la dynamique biophysique, que l’on peut dire « naturelle », dépendant des conditions écologiques et climatiques, d’autre part de la dynamique sociale, variable dans le temps et l’espace.
Les caractéristiques de notre société sont marquées par la volonté de marchandiser le plus de choses possibles et par l’omniprésence de la technique, ce qui a amené une exploitation très importante de la nature. Or nous avons délégué cette activité à un petit groupe de personnes « spécialisées ». Par exemple, nous ne produisons plus nous-mêmes ce que nous mangeons. Or le monde agricole, qui nous nourrit en exerçant une action très forte sur les dynamiques naturelles, ne représente qu’1 % de la population active. De ce fait, nous ne nous rendons plus compte des conditions et des mécanismes qui gouvernent l’extraction et l’acheminement des ressources jusqu’à nous.
La nature spontannée en ville peut surgir de manière inattendue
Chantier de plantation sur un terrain alloué au maraîchage urbain, quartier du Hohberg de Strasbourg, janvier 2024
Cette situation crée le paradoxe du « rapport socio-individuel à la nature » : les interactions sont tellement fortes entre nos sociétés humaines et la nature, qu’on ne sait plus très bien, par exemple, si le climat est encore une dynamique naturelle, ou si elle est devenue politique et sociale. Les frontières sont fortement brouillées.
Mais parallèlement, au niveau individuel, la distanciation entre les personnes qui composent la société et la nature est souvent considérable. C’est particulièrement le cas pour les jeunes générations : dès la phase de socialisation primaire, on leur apprend davantage à fonctionner avec l’univers technique que nous avons fabriqué, qu’avec l’environnement naturel. La nature concrète fait en effet peu partie de leur horizon d’expérience.
Cette distanciation induit également une difficulté à prendre conscience des effets de nos comportements sur les éléments naturels.
Lorsque nous menons des activités avec les enfants pour les re-connecter à la nature, nous devrions prendre cela en compte.
Comment décrire les relations entre ville et nature ?
Interrogeons-nous sur la volonté politique actuelle de réintroduire de la nature en ville. Par exemple, la Ville de Strasbourg a fait le choix de cesser l’exploitation forestière de ses forêts péri-urbaines, pour les mettre à disposition de sa population comme espace de ressourcement.
Pour autant, le besoin de la ville de Strasbourg en ressource-bois n’a pas disparu. Ce qui signifie que l’on va ponctionner ailleurs, bien plus loin. De même pour nos ressources alimentaires.
Nous devons avoir cela en tête si nous voulons développer une conscience écologique. En cherchant à nous réconcilier avec la nature en la réintroduisant dans la ville, il ne faudrait pas que cela se traduise par une exploitation encore plus problématique ailleurs.
Jardin partagé dans l’éco-quartier du Danube à Strasbourg
« Jardin partagé de nos rêves » niché au cœur
du quartier Hautepierre à Strasbourg – Septembre 2023
En fait, on ne peut donc pas penser la nature dans la ville, sans penser la ville dans la nature.
Notre société est très ambivalente envers la nature : on a découvert tous les bienfaits, pour la santé, la sociabilité, qu’elle pouvait nous apporter, mais il s’agit surtout du végétal. Avec la nature animale, c’est déjà plus compliqué.
Notre attitude bienveillante n’est plus aussi évidente lorsqu’il s’agit de rats, de blattes ou de moustiques ! On veut bien de la nature lorsqu’elle est gentille, mais pas lorsqu’elle nous pique !
De plus, c’est en effet une nature domestiquée et pas vraiment fonctionnelle que nous pouvons observer. Prenons par exemple le retour, organisé ou spontané, du loup : plus on s’éloigne de la zone où il est revenu, plus les gens y sont favorables. Que dirait-on si le loup arrivait place Kléber ?
Dans le cadre de l’éducation et la sensibilisation à la nature, il est important de garder cela en tête : est-ce que la nature n’est intéressante que quand on l’a domestiquée ? Que fait-on des éléments qui peuvent nous heurter ?
Une éphémère
Nature spontannée en plein hiver
Quels sont les types de nature que l’on rencontre en ville
et les acteurs qui la mettent en œuvre ?
Il y a tout d’abord la nature « spontanée » : c’est celle qui s’installe toute seule, parce qu’elle trouve en ville des éléments qui lui permettent de s’exprimer. Par exemple les faucons pélerins qui nichent sur la tour de Chimie ou sur la cathédrale. Les associations de protection de la nature, qui ont été à l’initiative de la création des réserves et des parcs naturels, ont contribué à faire accepter qu’en ville aussi, cette dimension autonome et spontanée de la nature puisse s’exprimer plus librement.
Mais comme pour la météo, si l’on est obligé de vivre avec, notre attitude envers elle est plus ou moins bienveillante, suivant que les espèces nous semblent sympathiques ou non (les écureuils versus les blattes…)
On trouve aussi la nature « socio-spontanée » : celle des plantes d’appartement ou des jardins privatifs. La manière de les installer et de les entretenir va dépendre de notre rapport à la nature : certains vont la contrôler au maximum, d’autres vont la laisser se développer de manière plus exubérante. Mais même lorsqu’on « laisse faire » la nature, c’est parce que l’on sait qu’on va pouvoir intervenir dès qu’il sera nécessaire. Les jardins partagés représentent à ce titre un mouvement intéressant de réappropriation de l’espace public pour mettre la main à la terre.
Mais cela passe par le volet agricole, ce qui montre bien que notre société est issue d’une révolution néolithique, où la nature est façonnée par l’agriculture. On peut remarquer aussi que les habitants entretiennent un rapport encore assez utilitaire avec la nature. L’acceptation des « mauvaises herbes » par exemple est encore relative, ce qui montre la persistance d’une perception à une nature docile et bien gérée.
Vous avez aussi la nature « institutionnelle » : ces sont les parcs publics où la nature est mise en scène pour exprimer des orientations idéologiques plus ou moins conscientes des aménageurs et des acteurs municipaux.
Les études menées par les géographes montrent comment la conception des espaces verts a changé depuis le XIXe siècle : d’une nature très « horticole » et mise en scène, puis à une nature « décor », dans le cadre de l’urbanisme des grands ensembles, enfin à l’expression d’une certaine spontanéité aujourd’hui, davantage tournée vers l’idée de la biodiversité.
Un hérisson peut apparaître au milieu d’un jardin partagé en ville
De petits écrins de verdure se logent parfois en pleine ville. PNU Ill-Bruche à Strasbourg
Que montrent les études sociologiques sur la perception
de la nature par les citadins ?
Il apparaît que la nature en ville représente davantage un décor, un cadre de vie, mais les personnes qui la fréquentent la connaissent en général très peu, du point de vue de son fonctionnement.
Les confinements ont cependant montré que le besoin de contact avec la nature est fort dans nos sociétés et ce, quel que soit notre type de rapport avec elle. La coupure avec cette nature a été globalement ressentie comme une frustration.
Le besoin de nature est présent chez tout le monde, car nous sommes fondamentalement des animaux, mais il s’exprime différemment selon les cultures et les trajectoires de chaque personne. Il peut être un point d’appui pour reconstruire une nouvelle relation à la nature, mais il faut rester conscient que cette nature reste toujours relativement domestiquée.
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