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Missiles sur les arbres, bombes sur les rivières


Proposé par Thomas MEYER, Kévin LAPLUME et Quentin CHEVRIER

Étudiantes du Mastère Spécialisé® Éco-conseiller | P36

Introduction

La guerre ne tue pas que des hommes. Elle tue aussi la nature. Trop souvent ignorés, les impacts écologiques des conflits armés sont pourtant massifs, durables, et profondément destructeurs. Chaque bombe larguée, chaque forêt brûlée, chaque nappe phréatique souillée laisse derrière elle une plaie ouverte dans les écosystèmes. Les guerres d’hier et d’aujourd’hui démontrent à quel point l’environnement devient un dommage collatéral silencieux, mais ravageur.

Et ce n’est pas uniquement ce que l’on voit qui pose problème : les pollutions invisibles, les extractions sauvages, la surexploitation des ressources, tout cela continue longtemps après le dernier tir.

Dans un monde déjà fragilisé par le changement climatique et la crise de la biodiversité, ignorer cette réalité serait une faute morale et politique.

 

A. Les impacts écologiques directs des conflits armés

Les conflits armés infligent des dommages immédiats et souvent irréversibles à l’environnement. Au cœur des zones de guerre, la nature devient une victime silencieuse, subissant des destructions physiques, contaminations chimiques et exploitations abusives de ses ressources.

L’un des premiers effets visibles est la destruction massive des habitats naturels. Forêts incendiées, zones humides asséchées, écosystèmes piétinés par les opérations militaires… La guerre bouleverse tout sur son passage. En Afghanistan, par exemple, les conflits ont contribué à d’importants incendies de forêts, aggravés par les affrontements et les frappes aériennes[1]. Au Vietnam, l’utilisation intensive de l’Agent Orange a provoqué une défoliation massive, réduisant des milliers d’hectares de forêt à des terrains stériles[2]. Ces atteintes directes aux écosystèmes entraînent l’effondrement des chaînes alimentaires locales et la perte d’une biodiversité souvent unique.

À cela s’ajoute la pollution des sols et des eaux, conséquence des armes elles-mêmes. Les mines terrestres, les obus non explosés et les résidus métalliques infiltrent lentement mais sûrement les sols, contaminant les nappes phréatiques et empoisonnant la faune, la flore… et les humains. En Bosnie-Herzégovine, par exemple, on estime que 79 000 mines terrestres et munitions non explosées couvrent encore près de 2 % du territoire national, menaçant directement plus d’un demi-million de personnes[3]. En Syrie, l’utilisation d’armes chimiques a non seulement eu des conséquences humaines dramatiques, mais a aussi entraîné une pollution durable de l’air et des cours d’eau[4], accentuant les risques sanitaires pour les populations et les animaux.

Mot P36 Missiles et bombes  

Mais les dégâts écologiques ne s’arrêtent pas au moment de l’explosion. Ils commencent parfois bien avant, lors de la fabrication de l’armement, qui mobilise d’importantes quantités de ressources naturelles. La production d’armes repose sur l’extraction de minerais rares comme le tantale, le tungstène ou le lithium. Ces activités minières, souvent concentrées dans des zones sensibles sur le plan environnemental, entraînent une déforestation massive, la pollution des rivières et le déplacement de populations locales. En République démocratique du Congo, par exemple, l’exploitation du coltan, essentiel pour l’industrie électronique et militaire, a alimenté des conflits armés et causé des dommages environnementaux considérables[5].

Ainsi, les conflits armés déchaînent une violence qui dépasse largement les combats. Ils marquent les paysages, altèrent les équilibres naturels, contaminent durablement les milieux… et rendent parfois impossible tout retour à la normale. L’environnement, pourtant sans voix dans ces affrontements, en paie un prix lourd — un tribut invisible mais profond que les générations futures devront gérer bien après que les armes se seront tues.

B. Les impacts indirects des conflits armés

Les conflits armés ont des impacts écologiques indirects qui vont bien au-delà des destructions directes des habitats et des écosystèmes. Ces impacts sont souvent sous-estimés ou négligés, mais peuvent avoir des conséquences à long terme sur l’environnement et la biodiversité.

Les conflits perturbent les systèmes agricoles, entraînant des changements dans l’utilisation des terres. La guerre peut forcer les populations à abandonner leurs terres agricoles, ce qui peut conduire à la déforestation pour de nouvelles zones cultivables ou à des pratiques agricoles intensifiées. L’usage de pesticides et de produits chimiques dans des zones de guerre peut également contaminer les sols et les cours d’eau[6], affectant la faune et la flore locales.

Mot promo 36 impact guerre sur la nature

Par ailleurs, les groupes armés peuvent exploiter illégalement les ressources naturelles pour financer leurs activités, telles que l’exploitation forestière[7], minière ou la surexploitation des eaux. Cette exploitation non régulée contribue à la dégradation des écosystèmes et à l’épuisement des ressources naturelles, comme l’exemple de la coupe illégale de bois qui dégrade les forêts et perturbe la biodiversité.

Les armes chimiques, les bombes et autres munitions utilisées pendant un conflit peuvent polluer gravement les sols et les nappes phréatiques. Les résidus d’armements comme les métaux lourds[8] peuvent contaminer l’environnement et affecter la qualité de l’eau, entraînant des maladies pour les populations locales, mais aussi des effets dévastateurs sur la faune et la flore.

De plus, ces conflits créent des zones d’insécurité pour la faune. Les animaux peuvent être tués, chassés pour leur viande, ou leur habitat se voir être détruit. La perte de biodiversité peut aussi être exacerbée par la perturbation des activités humaines comme la chasse, la pêche ou la déforestation liées au conflit. Parfois, des espèces déjà en danger sont poussées vers l’extinction par ces pressions supplémentaires.

Les zones protégées, les parcs naturels et les réserves écologiques peuvent être gravement perturbés par les conflits[9], car le personnel de conservation est forcé de fuir et les activités illégales comme le braconnage ou l’exploitation forestière illégale peuvent augmenter en l’absence de surveillance. Ces zones sont parfois même utilisées comme refuges ou pour stocker des armements, ce qui nuit à la conservation de la biodiversité.

Enfin, les conflits peuvent entraîner des changements dans les politiques énergétiques, comme l’augmentation de la dépendance aux énergies fossiles ou l’exploitation intensive de ressources énergétiques locales. La destruction d’infrastructures peut également entraîner d’importantes émissions de gaz à effet de serre, contribuant indirectement au changement climatique global[10].

54En somme, bien que les conflits armés aient des effets directs et visibles sur l’environnement, leurs impacts indirects sont également significatifs et durables. Ils affectent la gestion des ressources naturelles, les écosystèmes et la biodiversité, avec des répercussions souvent ressenties longtemps après la fin des hostilités.

C. Solutions et approches pour minimiser l’impact écologique des conflits

Les conflits armés laissent des cicatrices durables sur l’environnement, heureusement des solutions émergent pour atténuer ces effets. Les cadres juridiques internationaux, comme la Convention ENMOD (1976) et le protocole additionnel des conventions de Genève (1977), visent notamment à limiter les dommages écologiques en période de guerre[1]. Même si leur application reste souvent trop ignorée, ces instruments offrent une base pour protéger l’environnement face aux conséquences des conflits, comme l’ont démontré les récents cas en Syrie et en Ukraine.

La reconstruction écologique post-conflit peut également représenter une opportunité d’évolution positive après le drame. Par exemple en Irak, la restauration des marais de Mésopotamie, autrefois détruits par des guerres et des politiques environnementales hostiles, a permis de revitaliser la biodiversité et les moyens de subsistance locaux grâce à l’implication du PNUE[2]. En Colombie, des efforts de reforestation dans les régions touchées par les guérillas montrent que des projets écologiques bien conçus peuvent à la fois réhabiliter des écosystèmes et offrir des opportunités économiques[3] .

Certaines technologies modernes, comme la surveillance par satellites, peuvent également jouer un rôle clé dans la documentation des dégâts de la guerre, y compris les dégâts environnementaux. En Ukraine, ces outils ont permis de cartographier la destruction des forêts et les risques de contamination des nappes phréatiques, renforçant ainsi les mécanismes de poursuites judiciaires pour crimes écologiques [4].

Mot promotion 36 | Arbres et missiles, quels impacts ?

Les ONG jouent elles aussi un rôle clé. Green Cross International, a par exemple aidé à gérer les déchets chimiques en Albanie après la guerre du Kosovo[5]. Ces organisations essentielle dans la transition vers des environnements plus durables après les conflits.

Enfin, certaines forces armées, notamment américaines, explorent des stratégies plus respectueuses de l’environnement, comme l’adoption de véhicules à faibles émissions ou l’utilisation d’énergies renouvelables. Ces efforts, bien qu’encore limités et n’étant pas la priorité de l’innovation militaire, constituent une étape vers une réduction de l’empreinte écologique des guerres [6].

En conjuguant régulations, innovations technologiques et initiatives locales, il est possible de minimiser les impacts écologiques des conflits. Cependant, aucune solution technique ou initiative ne pourra réellement compenser les dégâts écologiques colossaux causés par les guerres, sans parler des dégâts humains. La meilleure stratégie reste de prévenir ces conflits, d’encourager la paix et de privilégier des politiques internationales qui protègent à la fois les populations et l’environnement. Une véritable coordination internationale et un engagement global pour réduire la violence armée sont indispensables pour construire un avenir où la guerre ne laissera plus de cicatrices sur la planète.

Conclusion

 

Ce que révèle l’étude des conflits armés, c’est une chose simple et glaçante : la guerre détruit tout. Elle arrache les vies, efface les civilisations, mais elle anéantit aussi les forêts, empoisonne les rivières, étouffe les terres. Les conséquences environnementales, qu’elles soient directes ou indirectes, ne sont jamais passagères : elles s’inscrivent dans la durée, elles entravent la reconstruction, elles compromettent les générations futures.

Oui, il existe des solutions : des accords internationaux, des technologies de surveillance, des initiatives locales courageuses. Oui, certaines armées font des efforts timides pour réduire leur empreinte écologique.

Mais soyons honnêtes : aucune solution ne réparera jamais totalement les dégâts d’un missile, d’un napalm ou d’un champ de mines.

Il est donc temps de dire clairement que préserver l’environnement, c’est aussi refuser la guerre.

Enfin, la paix est la condition première de toute écologie. Tant que l’on continuera à considérer la nature comme un simple théâtre d’opérations militaires, nous resterons les fossoyeurs de notre propre avenir.

Notes :


[1]
Vision of Humanity, Ecological threats hinder peace in Afghanistan

[2] U.S. Department of Veterans Affairs, Agent Orange Exposure

[3] Comité international de la Croix-Rouge, ICRC in Bosnia and Herzegovina 2021

[4] Organisation pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC), OPCW and Syria

[5] The Wall Street Journal, While War Rages, Congo’s Neighbors Smuggle Out Its Gold and Mineral Wealth

[6] https://www.courrierinternational.com/article/conflit-les-pesticides-nouvelle-arme-de-guerre-disrael-contre-les-palestiniens

[7] https://www.lemonde.fr/afrique/article/2015/07/15/centrafrique-le-commerce-de-bois-a-t-il-alimente-la-guerre_4683280_3212.html

[8] https://www.france.tv/documentaires/environnement/nowu/5582283-quel-est-l-impact-des-guerres-sur-l-environnement.html

[9] https://www.nationalgeographic.fr/animaux/devaste-par-la-guerre-ce-parc-naturel-est-revenu-a-la-vie

[10] https://www.lesechos.fr/1991/11/tous-les-puits-de-petrole-en-feu-au-koweit-sont-eteints-956044.

[11] Protocole additionnel aux Conventions de Genève du 12 août 1949 relatif à la protection des victimes des conflits armés internationaux (Protocole I), 8 juin 1977.

[12]   Convention sur l’interdiction d’utiliser des techniques de modification de l’environnement à des fins militaires ou toutes autres fins hostiles, 10 décembre 1976. Consulté le 15/11/2024

[13]  Colombie : avec les indigènes du Cauca, face aux guérillas. Consulté le 15/11/2024  

[14]  LE PNUE ANNONCE DE NOUVEAUX RESULTATS SUR LA RAPIDE RENAISSANCE DU JARDIN D’EDEN ET INSISTE SUR LA NÉCESSITÉ D’UN INVESTISSEMENT À LONG TERME DANS LES MARAIS. Consulté le 15/11/2024

[15] https://ihl-databases.icrc.org/fr/ihl-treaties/enmod-1976

[16] Biggest attack on Russian soil’ seen from SPACE after kamikaze drone blitz on ‘indestructible’ ammo dump sparked quake. Consulté le 15/11/2024

Mot de la promo 36 | Thomas MEYER, Kévin LAPLUME et Quentin CHEVRIER

Sources médiagraphiques :

Ukraine’s vast forests devastated in hellscape of war. Consulté le 15/11/2024 Lien

Biggest attack on Russian soil’ seen from SPACE after kamikaze drone blitz on ‘indestructible’ ammo dump sparked quake. Consulté le 15/11/2024 Lien

GREEN CROSS – Towards Local Green Economies with Smart Investments. Consulté le 15/11/2024 Lien

DoD Announces Two Solar Projects to Supply Five Military Installations in North and South Carolina With Clean Energy. Consulté le 15/11/2024 Lien

Pentagon Celebrates Clean Energy Action Month With Readiness Expo, Launch of Electric Vehicle Charging Stations. Consulté le 15/11/2024 Lien