Le fonds pertes et préjudices, un mécanisme de la solidarité climatique internationale
Proposé par Emma GREIVELDINGER et Jeanne GOURNAY
Étudiantes du Mastère Spécialisé® Éco-conseiller | P36
Introduction
Tous les pays du monde partagent une responsabilité commune dans le changement climatique actuel. Cependant, puisqu’ils n’ont pas tous contribué de façon égale à cette crise, il est important d’évaluer leur responsabilité individuelle afin de mettre en œuvre des politiques de financement adaptées et justes.
Chaque tonne de CO2 émise contribue au dérèglement climatique et à ses conséquences néfastes, la responsabilité de chaque nation ne peut donc être pleinement comprise qu’en considérant ses émissions cumulées au cours du temps, et non seulement ses émissions actuelles [1].
Cette approche révèle de profondes disparités entre pays, puisque les nations industrialisées sont les plus émettrices dans le temps alors que les pays en développement, bien que peu responsables historiquement, sont les plus durement touchés par les évènements climatiques extrêmes rendus plus probables par le changement climatique [2].
Face à ces inégalités, les dirigeants mondiaux ont adopté, lors de la COP 27, un mécanisme de solidarité internationale. Ce dispositif, connu sous le nom de Fonds Pertes et Préjudices, vise à financer les dégâts irréversibles causés par les catastrophes climatiques dans les pays du Sud [3].
Qu’est-ce que les Pertes et Préjudices ?
Le dérèglement climatique contribue à augmenter la fréquence et/ou l’intensité et/ou la durée des phénomènes météorologiques extrêmes [5].
Afin de réduire les impacts néfastes de ces catastrophes climatiques sur les sociétés humaines et la biosphère, les pouvoirs publics se concentrent à l’heure actuelle essentiellement sur les politiques d’atténuation (visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre) et, plus récemment d’adaptation (ayant pour objectif d’adapter les territoires et sociétés aux multiples conséquences du changement climatique).
Cependant, certains de ces phénomènes météorologiques extrêmes sont d’ores et déjà irréversibles et dépasseront avec certitude les capacités d’adaptation et de résilience de certains systèmes écologiques et humains [6]. Il semble donc particulièrement fondamental d’aider les pays les plus vulnérables à couvrir les dommages inéluctables auxquels ils feront face sous l’effet des catastrophes climatiques.
Ces évènements météorologiques extrêmes provoqués par le dérèglement du climat se divisent en deux principales catégories : les perturbations dites soudaines (typhons, inondations, cyclones, feux de forêt…) et celles dites lentes (désertification, élévation du niveau de la mer…) [7]. Toutes ces catastrophes entraînent des conséquences importantes sur les sociétés humaines, que l’on appelle pertes et préjudices.
Les préjudices peuvent être définis comme des dégâts pouvant être évalués, réparés et/ou remboursés, comme par exemple la perte de récoltes d’un agriculteur suite à une sécheresse ou l’endommagement d’une maison consécutif à une inondation.
En revanche, les pertes sont considérées comme des atteintes irréversibles ne pouvant pas être récupérées. Il peut s’agir de pertes économiques, par exemple relatives à des logements détruits par un cyclone, ou non économiques, notamment la perte d’un héritage culturel, de la biodiversité et de ses services écosystémiques voire d’une ou plusieurs vies. Ces pertes sont non monétaires, subjectives et par conséquent très difficiles à chiffrer et évaluer [6].
Le Fonds Pertes et Préjudices
Les pertes et préjudices apparaissent donc comme une solution de dernier recours à la crise climatique et constituent un troisième volet essentiel des politiques climatiques après l’atténuation et l’adaptation.
Ainsi, les gouvernements réunis en 2022 au sein de la COP 27 à Charm el-Cheikh en Égypte ont décidé de la création d’un fonds spécial permettant de financer la réponse des pays les plus vulnérables à ces dommages inéluctables : il s’agit du Fonds Pertes et Préjudices [8].
Un an plus tard, dès les premiers jours de la COP 28 à Dubaï, les différents arrangements pour définir la vocation du Fonds ont été réalisés, et certains pays annoncèrent d’ores et déjà leur contribution financière à celui-ci.
En termes de gouvernance, il a également été décidé que le Fonds soit dirigé par un conseil composé principalement de représentants de pays dits « en développement » (12 membres sur les 14 que compte ce conseil), qui sont en première ligne des pertes et préjudices.
L’alimentation du Fonds s’effectue à travers les contributions volontaires des différents pays, principalement via des subventions et des dons privés, mais aussi des prêts.
Le système d’allocation des fonds est réalisé en fonction de différents critères, prenant notamment en compte la vulnérabilité du pays bénéficiaire ainsi que l’ampleur de l’évènement subi [9].
À la fin de la COP 28, un total de 792 millions d’euros ont été promis pour alimenter le Fonds Pertes et Préjudices [10].
Quelle évolution de la solidarité internationale suite à la COP 29 ?
En 1992, l’ONU créait un traité international historique, la Convention-Cadre des Nations Unies sur les Changements Climatiques (CCNUCC) pour agir sur le changement climatique mondial. 197 États dont l’Union Européenne en sont les signataires. Depuis 1995, une Conférence des Parties (COP) a lieu chaque année pour suivre la situation. Une COP est donc une conférence des pays qui se sont engagés à respecter la CCNUCC [12].
La COP 29 s’est déroulée pendant onze jours du 11 au 22 novembre 2024 à Bakou en Azerbaïdjan. Elle a permis deux grandes avancées. La première attendue donne à cette conférence son surnom de la « COP des finances ». Elle adopte un « Nouvel Objectif Collectif Quantifié » (NCQG – New Collective Quantified Goal) qui fixe le montant de 300 milliards de dollars par an jusqu’en 2035 que les États du Nord vont financer aux États du Sud par solidarité envers les conséquences causées par cette crise climatique. Elle va également essayer d’élever le montant à 1300 milliards de dollars par an, afin de répondre à la demande originelle des pays en développement.
La COP 29 permet aussi de donner suite à l’Accord de Paris formulé pendant la COP 21 qui a eu lieu à Paris en 2015. Ce premier accord universel sur le climat visait à limiter le réchauffement climatique à 2°C, affichait les efforts pour diminuer les émissions de gaz à effet de serre de chaque pays ainsi qu’accroître leurs efforts financiers de soutien. L’Accord de Paris visait encore à renforcer l’action des sociétés civiles des pays comme les associations, les villes etc. La COP 29 remplace également l’ancien système d’échange volontaire de quotas carbone et ses dérives par un nouveau marché restrictif. Il oblige ses porteurs de projets à évaluer et atténuer les impacts environnementaux et sociaux de leurs activités. Il les oblige encore à démontrer leur contribution aux objectifs de développement durable [13].
De plus, la COP 29 permet d’autres avancées notamment sur la transparence, l’adaptation et la participation de la société civile (importance de l’engagement dans le cadre de l’Action pour l’autonomisation climatique – ACE). En ce qui concerne la transparence, les pouvoirs publics des pays se sont engagés à restituer avant la fin de l’année un rapport de transparence (appelé BTR), soit plus précisément un inventaire sur les actions et le financement apportés. En ce qui concerne l’adaptation, un soutien est pour l’instant mis en place à travers des plans nationaux d’adaptation (PNA) pour les pays les moins avancés (PMA).
Enfin, la COP 29 a permis d’acter la pleine opérationnalisation du Fonds Pertes et Préjudices, qui devrait être en mesure de démarrer le financement de projets d’ici début 2025 [14].
La 29e Conférence des Parties à la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (COP29).
Les limites de ces décisions
Cependant, le financement de 300 milliards par an proposés par les Pays du Nord pour répondre aux 1300 milliards demandés parait faible. La nature de leur format, sous forme de prêt ou de don, ainsi que celle de leur origine, publique, privée, multilatérale ou bilatérale, reste encore à définir [12], mais la forme de prêt tendrait à renforcer la dette des États du Sud.
En ce qui concerne les gaz à effet de serre, la COP n’a pas réussi à faire ratifier à d’autres pays émetteurs comme la Chine la liste des contributeurs qui restent des participants volontaires. Elle n’a pas apporté d’autres précisions sur la sortie des énergies carbonées, et elle a de plus statué dans son document résumé final que « les combustibles de transition peuvent jouer un rôle pour faciliter la transition énergétique tout en assurant la sécurité énergétique » [13], s’opposant au discours du GIEC.
Il faudra donc attendre la prochaine COP qui aura lieu à Belém au Brésil pour avoir d’autres précisions, en particulier pour les sommes promises au Fonds Pertes et Préjudices, qui n’ont pas augmenté depuis la COP 28…
Conclusion
Le bilan de la COP 29 est clairement mitigé, les États du Nord ont pris notamment deux décisions importantes d’un côté.
De l’autre, le montant du financement du Fonds Pertes et Préjudices est fixé mais trop faible par rapport aux dommages estimés. Et le nouveau marché des quotas carbones devient plus restrictif mais les précisions sur la sortie des énergies carbonées n’ont pas été abordées.
Nous pouvons donc considérer le Fonds Pertes et Préjudices comme une grande avancée nécessaire dans la solidarité internationale et la lutte climatique. Cependant il reste finalement encore trop permissif pour les Pays du Nord…
Mot de la promo 36 | Emma GREIVELDINGER et Jeanne GOURNAY – 16 décembre 2024
Sources mediagraphiques
[1] Analysis : Which countries are historically responsible for climate change ? Carbon Brief. Publié le 05/10/2021. Consulté le 06/12/2024. Lien
[2] Changement climatique : quels sont les pays les plus impactés ? IdVerde. Publié le 12/12/2022. Consulté le 06/12/2024. Lien
[3] Fund for responding to Loss and Damage. United Nations Framework Convention on Climate Change (UNFCCC). Consulté le 06/12/2024. Lien
[4] COP27 : Health Organizations Issue Stern Demand for Loss and Damage Fund. The Global Climate and Health Alliance. Consulté le 06/12/2024. Lien
[5] IPCC Sixth Assessment Report, Chapter 11 : Weather and Climate Extreme Events in a Changing Climate. IPCC. Consulté le 06/12/2024. Lien
[6] Pertes et Préjudices : qui paiera les conséquences du changement climatique ? Bon Pote. Publié le 02/11/2024. Consulté le 06/12/2024. Lien
[7] Comment faire face à l’injustice climatique ? La COP 28 et le fonds « pertes et préjudices » : Entretien avec Matthieu Wemaëre. Sciences Po. Publié le 17/03/24. Consulté le 07/12/2024. Lien
[8] COP27 Reaches Breakthrough Agreement on New “Loss and Damage” Fund for Vulnerable Countries. United Nations Framework Convention on Climate Change (UNFCCC). Publié le 20/11/2022. Consulté le 07/12/2024. Lien
[9] COP28 agrees to establish loss and damage fund for vulnerable countries. World Economic Forum. Publié le 01/12/2023. Consulté le 07/12/2024. Lien
[10] COP28 President addresses historic first Board meeting for the Loss and Damage Fund, urging Parties to build on progress with a fully functioning fund that delivers lasting, positive, socio-economic impact. COP28.com. Consulté le 07/12/2024. Lien
[11] The Loss and Damage Fund Board : Getting It Right from the Start. Heinrich Böll Stiftung. Publié le 18/03/2024. Consulté le 11/12/2024. Lien
[12] Décryptage des COP : les conférences internationales de lutte contre le dérèglement climatique. Ecologie.gouv. Publié le 23/05/2018. Consulté le 09/12/2024. Lien
[13] COP 29 à Bakou : quel bilan ? Institut de Relations Internationales et Stratégiques (IRIS). Publié le 28/11/2024. Consulté le 09/12/2024. Lien
[14] Historic Decision in Baku : The Loss and Damage Fund fully operationalised. COP29.az. Publié le 23/11/2024. Consulté le 12/12/2024. Lien
[15] La COP 29 se conclut par un accord sur le financement de la lutte contre le changement climatique. Nations Unies. Consulté le 11/12/2024. Lien
Pour aller plus loin
COP 29 : la Conférence des Nations Unies sur le climat convient de tripler le financement aux pays en développement pour protéger les vies et les moyens de subsistance. Publié le 24/11/2024. United Nations Framework Convention on Climate Change (UNFCCC). Consulté le 09/12/2024. Lien
A propos de la COP 29. United Nations Framework Convention on Climate Change (UNFCCC). Consulté le 09/12/2024. Lien
COP29 climat. Ecologie.gouv. Consulté le 09/12/2024. Lien
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