Faut-il avoir peur du loup ?

Proposé par Céline ROUQUAYROL et Mattiheu WIRTH
Étudiant·es du Mastère Spécialisé® Éco-conseiller | P36
 

Introduction

Le loup est un exemple emblématique des problèmes que peut poser la protection de la biodiversité face à notre mode de vie et notamment du mode d’élevage pastoral.

Le mardi 3 décembre 2024, le loup (Canis Lupus) a perdu son statut d’espèce strictement protégée suite à un vote du Conseil des Ministres de l’Union Européenne. Appuyée par des syndicats agricoles et des éleveurs démunis face à la hausse du nombre d’attaques subies par le bétail, notamment dans le cas de l’élevage pastoral ovin, cette décision intervient dans un contexte de crise agricole profonde, exacerbée par une combinaison de facteurs climatiques, économiques, sanitaires et sociétaux.

Elle reflète la complexité d’une situation apparue avec le retour du loup dans certains pays européens comme la France. En modifiant la convention de Berne [1], la Commission Européenne opère de manière inédite, ce qui inquiète les spécialistes de la biodiversité, notamment car cela crée un précédent fâcheux [2].

Malgré les dégâts que subissent les éleveurs, la régulation des populations de loups est-elle vraiment nécessaire ; et est-elle efficace ? Quels sont les leviers qui sont actuellement à disposition des éleveurs pour protéger leur cheptel ?

Faut-il avoir peur du loup

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Biologie du loup

Le loup est un canidé du genre Canis, comme le renard, le chacal, le lycaon ou le chien viverrin. L’espèce Canis lupus (loup gris) comprend des sous-espèces sauvages, domestiques (Canis lupus familiaris, chiens domestiques) et férales (le dingo), toutes parfaitement inter-fécondes. Le loup que l’on trouve en France serait issu des lignées originaires d’Italie (C. l. italicus, Loup des Abruzzes) germano-polonaise et ibérique.

Biologie du loup

Le loup se nourrit principalement d’ongulés sauvages (chevreuil, chamois, mouflon, cerf) ; mais peut chasser des petits mammifères (lièvre, marmotte, petit rongeur) et compléter son alimentation par des oiseaux, batraciens, insectes et même des végétaux si nécessaire.
Il chasse également des troupeaux d’ongulés domestiques (ovins, caprins, moins fréquemment de jeunes bovins ou équins). Une étude réalisée sur neuf meutes des Alpes françaises a montré que le régime alimentaire était composé en moyenne de 76 % d’ongulés sauvages, 16 % d’animaux domestiques et 8 % divers [3].

Le loup est un prédateur opportuniste et fortement adaptatif : son régime alimentaire varie en fonction de la disponibilité des proies, la saison, ses besoins énergétiques (reproduction, élevage des jeunes) ou encore les changements des pratiques d’élevage. On a également noté des variations selon la taille des meutes ou l’expérience, les préférences individuelles des loups qui les composent. Il chasse en général la nuit. Il peut alterner de gros repas (8 kg) et plusieurs jours de jeûne. Le suivi des attaques aux troupeaux montre qu’il peut attaquer plus de brebis qu’il va en consommer (surplus killing) [3]. Ce comportement pourrait s’expliquer par l’intention du loup de revenir manger les animaux attaqués ou la panique des animaux face à l’attaque des loups [4].

Animaux sociaux, les loups vivent et chassent le plus souvent en meute, en moyenne de 4 à 7 individus. La meute est dirigée par un couple alpha, seul à se reproduire. Un individu peut quitter la meute pour la recherche de partenaire ou de nourriture. Cette dispersion entraîne la colonisation de nouveaux territoires (le loup peut parcourir de grandes distances [3].
On compte en moyenne 2 et 8 louveteaux par portée. Le loup peut vivre de 9 à 13 ans.

Effet du loup sur la biodiversité

Le loup est un super prédateur : il est placé au sommet de la chaîne alimentaire (seul l’ours, éventuellement, pourrait prédater les jeunes loups). Il a un rôle de régulation des populations de cervidés sauvages : limite leur croissance et leur concentration, assainit les populations en éliminant les animaux faibles ou malades.

Ainsi, la présence du loup favorise les écosystèmes que sont la forêt, les prairies (en évitant le surpâturage des grands herbivores) ou même la rivière (en limitant l’érosion des berges induites par des groupes de cerfs trop nombreux). Plusieurs études scientifiques et des observations de terrain indiquent que la présence du loup en Europe est un atout pour la biodiversité des oiseaux, poissons, ou autres espèces menacées [5].

Bien sûr, les effets du loup sur les écosystèmes sont complexes et varient en fonction des situations locales. Son impact positif sur la biodiversité, “cascade trophique”, a surtout été documenté dans le parc naturel américain du Yellowstone. Des études plus nombreuses seraient nécessaires en France et en Europe pour mieux comprendre et appréhender le comportement du loup dans notre pays.

Évolution démographique du loup

Éradiqué en France dans les années 30 avec les encouragements de l’État, le loup fait son retour dans le pays en 1992 dans le Mercantour. Étant présent en Italie et en Espagne, sa réintroduction a été facilitée par des facteurs tels que la reforestation, l’exode rural ainsi que de strictes mesures de protection comme la célèbre convention de Berne de 1979 qui définit les statuts de protection des différentes espèces.

La population de loups a été estimée à environ 20 300 individus en Europe en 2023. En France, après avoir fortement augmenté pendant une décennie, la population semble plus ou moins stagner autour de 1000 individus.

Grâce aux indices qui ont été collectés par l’Office Français de la Biodiversité (OFB) (traces, proies sauvages, observations visuelles, etc…), 158 zones de présence permanente (ZPP) ont été identifiées en France, essentiellement dans la région Rhône-Alpes, dont 135 sont occupées par des meutes [6].

 

Hausse de la prédation lupine et impacts

La croissance de la population de loups a engendré une certaine croissance du nombre d’attaques détectées sur les troupeaux. Ainsi, ce sont quelques 831 victimes de plus en 2023 par rapport à 2022 [7]. Ce sont 55 départements qui sont concernés par ces attaques et pour lesquels il est nécessaire de prévoir des mesures de protection ainsi que des aides financières pour compenser la perte des éleveurs.

Face à ces attaques, tous les éleveurs ne sont pas égaux. Des études [8] ont montré que leur capacité de résilience et à gérer les tensions dépendent fortement de leur réseau de soutien, de leur expérience ainsi que de leur environnement socio-économique. À cela, peuvent s’ajouter stress et épuisement générés par la réalité ou l’anticipation des prédations.

Par ailleurs, des pertes indirectes peuvent être engendrées car les comportements des troupeaux attaqués peuvent changer après une attaque (stress, avortements, fuite, …) augmentant la difficulté de gestion et les coûts.

Dégâts causés par le loup

Concentration des attaques en 2023.
Source : DREAL Auvergne Rhône-Alpes

Des compensations financières sont prévues par l’État en cas d’attaque [9]. Afin de distribuer ces aides convenablement, des zones d’éligibilité à l’aide et à la protection des exploitations ont été définies en tenant compte de la pression de prédation et de la dynamique de la zone de présence des loups [10].

Ces compensations sont souvent insuffisantes et les syndicats d’éleveurs regrettent un manque d’accompagnement de la part des DDT (Directions Départementales des Territoires) [11].

Un Plan National et un changement de statut démagogique ?

En France, un Plan National d’Action (PNA) a été proposé pour la période 2024- 2029 [12] par le ministre de la Transition Écologique et de la Cohésion des Territoires.
Il vise à poursuivre la protection de l’espèce tout en accompagnant les éleveurs face aux menaces de prédation et en favorisant la communication entre toutes les parties concernées. Il permettra en 2025 un abattage de 192 loups, soit 19 % de l’effectif comptabilisé en 2024 (1012 loups). [13].

Malgré des avancées dans les actions telles que l’évolution de la méthode de comptage des loups, ce plan n’arrive pas à faire l’unanimité auprès des syndicats agricoles ni des associations de protection de la nature [14]. Les premiers critiquent le refus du gouvernement de financer l’anticipation et la protection des troupeaux, jugée trop coûteuse.

Ainsi, les éleveurs sont laissés dans une impasse où les dérogations de tirs sont rares et les indemnisations insuffisantes sans solutions pérennes. Par ailleurs, la FNSEA réclame une clarification juridique sur la responsabilité des éleveurs vis-à-vis des chiens de protection qui sont fortement exposés aux attaques.

Affiche Wanted pour l'article sur le loup

,Les associations, quant à elles, critiquent le nouveau PNA pour son absence d’évaluation du plan précédent et l’assouplissement des procédures d’abattage, qu’elles perçoivent comme une chasse déguisée empêchant le rétablissement d’une population viable. Elles sont plusieurs à avoir quitté le Groupe National Loup en signe de désaccord. Le Comité français de l’UICN critique, lui aussi, l’absence d’évaluation du plan précédent et appelle à des décisions basées sur des données scientifiques solides, adaptées aux contextes locaux. Il recommande de limiter les tirs létaux aux situations réellement nécessaires et de renforcer les solutions locales de protection des troupeaux tout en maintenant le bon état de conservation de l’espèce [15].

Au niveau européen, l’abaissement du statut de protection des loups par le Comité permanent de la Convention de Berne a aussi divisé. Cette décision, saluée par certains éleveurs comme une avancée vers une meilleure gestion de la prédation, suscite néanmoins des attentes concrètes, notamment en matière d’assouplissement des conditions de tirs de défense et d’ajustement des quotas de prélèvements. Elle soulève aussi des inquiétudes quant à son efficacité réelle pour résoudre les tensions entre conservation de l’espèce et protection des activités pastorales.

Les associations environnementales critiquent ce changement, affirmant qu’il met en péril l’état de conservation du loup sans apporter de solution pérenne pour la coexistence avec les élevages. Elles mettent, par exemple, en avant que tuer un animal peut dérégler le fonctionnement de sa meute, entraîner la dispersion des individus et un renforcement de la natalité l’année suivante. D’ailleurs, une étude récemment menée par le CNRS et l’OFB ne montre pas l’efficacité des tirs létaux sur la déprédation [13].

Conclusion

Comment concilier protection suffisante d’une espèce protégée et sauvegarde des activités d’élevage qui participent à faire vivre des territoires ruraux, jouent un rôle essentiel dans l’entretien des prairies, des haies et la diversité de nos paysages, sans prôner un élevage intensif ? Les autorités françaises ont-elles une approche équilibrée entre ces deux objectifs ?

Le Plan Loup a été modifié en février 2024 pour simplifier et accélérer les tirs de défense et augmenter les indemnisations des éleveurs, notamment parce que d’après Christophe Béchu, ministre de l’agriculture à l’époque, ‘le seuil de viabilité démographique du loup en France’ (sic) aurait été atteint’. Ce seuil serait fixé à 500 adultes reproducteurs matures, mais pour certains scientifiques le seuil important est celui de viabilité « démogénétique » (afin de limiter les risques liés à la consanguinité et mieux garantir la survie de l’espèce à plus long terme), et il faudrait plutôt une population de 2.500 à 5.000 loups pour pouvoir compter 500 individus potentiellement reproducteurs.
Comment empêcher que les loups attaquent des troupeaux dont l’état reconnaît la « non-protégeabilité » autrement que par des tirs de défense dès la première attaque ? Les associations préconisent des tirs d’effarouchement plutôt que des tirs létaux, tout en renforçant le soutien auprès des éleveurs.

Elles indiquent qu’on ne comprend pas l’effet des tirs sur les populations de loups et leur prédation sur les troupeaux.
Il est indispensable que le déficit actuel de connaissances sur le comportement des loups soit comblé et que les attaques de troupeaux effectivement dues aux loups (il est souvent difficile de distinguer leurs attaques de celles de chiens divagants) soient comptabilisées efficacement. Il faut aussi avoir une vision plus équilibrée et prendre en considération les impacts positifs de la présence du loup sur les écosystèmes naturels, à travers notamment leur effet sur les populations d’ongulés sauvages.
Il est primordial de conserver cette espèce protégée qui demeure malgré tout vulnérable et de ne pas ouvrir la boîte de Pandore pour d’autres espèces protégées (vautours, ours, etc…)

Sources mediagraphiques

[1] Proposition de modification de la Convention de Berne. Lien

[2] Ligue pour la Protection des Oiseaux. (s. d.). La LPO s’insurge contre la décision européenne de réduire. . . Ligue Pour la Protection des Oiseaux. Lien

[3] Le loup | OFB | Le loup en France

[4] Do wolves kill for sport ? – Living with Wolves ; Igor Khorozyan et Marco Heurich “Where, why and how carnivores kill domestic animals in different parts of their ranges : An example of the Eurasian lynx”, Global Ecology and Conservation, July 2023

[5] Beschta, R.L., Ripple, W.J., 2019. Can large carnivores change streams via a trophic cascade ? Ecohydrology 12, 1–13. Comment les loups changent les rivières | France Nature Environnement. Jean-Louis Martin, Simon Chamaillé- Jammes, Donald M. Waller ‘Deer, wolves, and people : costs, benefits and challenges of living together’ Biological Review : 11 February 2020. ; Romain Hecquet, Des loups, des cerfs… et nous ? CNRS Le Journal ; 26.02.2020

[6] Bilan annuel du suivi de la population de loups 2022. (2024). Dans Loupfrance.fr (No17). Lien

[7] Auvergne-Rhône-Alpes, D. (2024, 6 décembre). Données sur les dommages. DREAL Auvergne-Rhône-Alpes. Lien

[8] Nicolas, F., & Doré, A. (s. d.). Face aux Loups. Dans INRAE. Lien

[9] Arrêté du 22 février 2024 pris pour l’application du décret n° 2019-722 du 9 juillet 2019 relatif à l’indemnisation des dommages causés aux troupeaux domestiques par le loup, l’ours et le lynx – Légifrance. (s. d.). Lien

[10] Protection des troupeaux contre la prédation : cercles 1, 2 et 3. (s. d.). Les Services de L’État En Finistère. Lien

[11] TV. (2023). Loups et élevages, faire face à la prédation. Dans Confédération Paysanne. Lien

[12] Plan loup : un nouveau cadre national d’actions pour renforcer la coexistence du loup et des activités d’élevage. (s. d.). Ministère de L’Agriculture, de la Souveraineté Alimentaire et de la Forêt. Lien

[13] Oksana Grente, Tirs dérogatoires de loups en France : évaluation des effets sur les dommages aux troupeaux , 5 avril 2023. www.revue-naturae.fr

[14] Lecocq, R. (2023, 19 septembre). Le Plan loup 2024-2029 fait l’unanimité. . . contre lui. Pleinchamp. Lien

[15] Kirchner, F. (2024, 22 février). Pour une cohabitation durable avec le loup en France. UICN France. Lien