Nourrir le monde et préserver la planète
Le dernier rapport publié en décembre 2021 par l’organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) le confirme : les écosystèmes terrestres et aquatiques productifs sont « au bord de la rupture », et sont soumis à un niveau de « stress critique » qui met en péril l’alimentation des 10 milliards d’êtres humains attendus en 2050.
La FAO souligne que 34 % des terres agricoles (environ 1.660 millions d’hectares) sont dégradés par l’usage humain et que la rareté de l’eau menace la sécurité alimentaire à l’échelle mondiale et met en danger 3,2 milliards de personnes.
La surpêche industrielle quant à elle, entraîne l’épuisement et le dérèglement des écosystèmes marins. Les impacts du changement climatique vont amplifier cet enjeu, alors que l’agriculture est à l’origine de 31 % des émissions de gaz à effet de serre au niveau mondial (13,5 % directement et 17,5 % liés à la déforestation due en partie à l’extension des surfaces agricoles). Au cœur de la problématique : une agriculture intensive, mécanisée et basée sur l’apport d’intrants chimiques, et une consommation excessive de protéines d’origine animale.
L’élevage, à l’origine d’impacts environnementaux et sanitaires délétères
L’élevage traditionnel étant en disparition, 90 % de la viande que l’on trouve sur les étals est le fruit d’une industrie mondiale de l’élevage industriel qui, selon la FAO, accapare 70 % des surfaces agricoles et participe à la déforestation massive.
Ainsi, au Brésil, 91 % des terres déboisées (par le feu) seraient ensuite occupées par les vaches ou la production des aliments d’élevage tels que le soja.
Par ailleurs, dans un rapport de 2016 intitulé « Contrer le changement climatique à travers l’élevage » la FAO estime que l’élevage est responsable de 14,5 % des GES, soit plus que le secteur des transports (avions, trains, bateaux, voitures) avec ses 14 % des émissions mondiales. Les émissions moyennes de CO2 d’un végétarien seraient ainsi de 3,81 kg par jour contre 7,19 kg pour une personne consommant 100g de viande par jour.
45 % de ces émissions sont générées par la culture et le transport de l’alimentation des animaux d’élevage, 49 % proviendrait des excréments et de la fermentation gastrique des ruminants. Quant à l’ammoniaque dégagé de ces excréments, il participe à la formation de particules fines dans l’air, comme le nitrate d’ammonium, provoquant des affections pulmonaires ou cardiaques.
Impact de production alimentaire, 2014. Université Oxford
Les impacts ne s’arrêtent pas là : l’eau et les sols sont particulièrement altérés. 39 tonnes par seconde, 1,3 milliards de tonnes par an, c’est la quantité de lisier produit par l’élevage dans le monde qui participe à la pollution en azote, phosphore, nitrates, pesticides, antibiotiques, vermifuges des sols et des eaux douces puis marines. Leur mauvaise qualité entraîne des conséquences sur la vie des espèces aquatiques et terrestres mais aussi sur la santé humaine par l’eau potable.
Enfin, si on ajoute à l’eau nécessaire pour nettoyer leurs excréments, l’eau irriguant leur alimentation et l’eau bue, un Français qui mange 24,5 kg par an de viande bovine (moyenne nationale) dépense pour cela 363 000 litres d’eau, soit l’équivalent de huit bains par jour pendant un an. La production d’1kg de porc nécessite 6 000 litres, de poulet 4 300, 1 kg de céréale 1 640 litres.
Quant aux impacts sur la santé de la consommation excessive de viande, elle est à l’origine de risques de troubles et de maladies répandus : diabète de type 2, cholestérol, hypertension, maladies cardiovasculaires, obésité, et cancers (colorectal notamment).
La “smart agriculture” comme solution ?
La révolution verte, à l’origine de ce modèle agro-industriel, s’auto-justifiait par l’ambition de nourrir l’humanité ; pourtant, alors que ce modèle tend à devenir le modèle mondial dominant, entre 720 et 811 millions de personnes dans le monde souffrent en 2020 de la faim. Cet aveu d’échec pousse à développer une alternative en mesure de répondre aux enjeux environnementaux, sanitaires, démographiques et sociaux.
Les acteurs dominants, loin de se remettre en question, répondent par la « smart agriculture », soit toujours plus de productivité, de concentration et de sophistication technologique : agriculture robotisée, bétail connecté, génomique, agriculture de précision, etc. Ce modèle de développement nécessite d’immenses parcelles optimisées pour le passage des outils, un nombre restreint de cultures et des animaux confinés.
Agronomiquement, cette smart agriculture poursuit l’utilisation majeure, sinon massive, de pesticides, et socialement, elle accompagne une concentration des exploitations et une réduction du nombre d’emplois.
Une alternative pour préserver les agroécosystèmes et l’agriculture paysanne : l’agroécologie
Dans ce paradigme, les pratiques agricoles permettant la conservation de la biodiversité et la santé des consommateurs sont vues comme des niches. Toutefois, des scénarios portés par des ONG, des chercheurs et des institutions publiques tendent à démontrer que la population mondiale peut et pourra être nourrie sainement et suffisamment avec une agriculture qui, par son acte de production même, préserve le fonctionnement des agroécosystèmes et l’agriculture paysanne.
La convergence de scénarios internationaux, européen et français
Régime alimentaire sain Eat Lancet, 2019
Publié en 2019, l’étude « Food in the Anthropocène » de la Commission Eat Lancet, qui a réuni 37 scientifiques de renom issus de 16 pays, démontre la capacité de répondre aux Accords de Paris tout en nourrissant les 10 milliards d’êtres humains à venir si deux principes fondamentaux sont respectés :
– une production alimentaire durable, basée sur la baisse drastique de consommation d’eau douce, d’intrants, …
– une consommation alimentaire saine, réduisant de 50 % la part de la viande rouge.
Cette étude mondiale est confirmée par plusieurs scénarios territorialisés, comme celui dénommé TYFA (Ten Years For Agroecology) développé par des chercheurs de l’IDDRI à l’échelle européenne, ou le scénario Afterres 2050 publié par Solagro.
Émissions de GES en t/eq Co2/an
La modélisation TYFA révèle qu’une production agroécologique – abandon des pesticides et des fertilisants de synthèse, le redéploiement des prairies naturelles et l’extension des infrastructures agroécologiques – couplée à un régime alimentaire plus sain réduisant de 45 % des protéines animales apporte de nombreux bénéfices. Ainsi, ce mode de production permet la réduction de 40 % des émissions de GES liées à l’agriculture, l’alimentation des Européens, le maintien d’une exportation de produits agricoles, une reconquête de la biodiversité et la conservation des ressources naturelles.
Il faut par ailleurs noter que la diminution de consommation de viande ne peut être compensée par la consommation de poisson. En effet, la conséquence de la surpêche industrielle est l’épuisement de la ressource, ainsi que la destruction et le dérèglement des écosystèmes marins.
Selon la FAO, l’humanité a consommé 167 millions de tonnes d’animaux marins en 2014, dont 93,4 millions issus de la pêche et 73,9 millions issus de l’élevage. Ramené au poids moyen par individu, on estime que le nombre total de vertébrés marins pêchés par an varient de 1000 à plus de 2500 milliards, soit entre 31 700 et 79 270 individus par seconde. Autres victimes collatérales, sont capturés dans les filets puis rejetés morts ou agonisants de nombreux animaux marins comme les requins, les tortues (250 000 / an), les dauphins et autres cétacées (300 000/an), espadons, raies, et des centaines d’autres espèces.
À l’échelle française, le scénario Afterres de Solagro – dont la première version date de 2010 et est régulièrement actualisée et alimentée par les résultats – ne dit pas autre chose. Il met également en avant la problématique d’économiser les terres dédiées à l’élevage au profit de l’alimentation humaine. L’industrie produit essentiellement de la viande et du poisson pour les pays riches.
Selon une étude de Juin 2018 dans la revue Science, alors que l’industrie de la viande occupe 83 % des terres agricoles dans le monde, elle ne fournit que 37 % des protéines et 18 % des calories consommées dans le monde.
Scénario Afterres 2050 SOLAGRO
Mot de la Promo P33 / Françoise Lanarre & Hélène Rohmer
Sources :
- L’État des ressources en terres et en eau pour l’alimentation et l’agriculture dans le monde : des systèmes au bord de la rupture, 2021.
https://news.un.org/fr/story/2021/12/1110392
- L’ombre portée de l’élevage, 2019
https://www.fao.org/3/A0701F/a0701f.pdf
- Lutter contre le changement climatique grâce à l’élevage, 2016.
https://www.fao.org/3/i3437f/i3437f.pdf
- Actualisation des repères du PNNS : étude des relations entre consommation de groupes d’aliments et risque de maladies chroniques non transmissibles, 2016.https://www.anses.fr/fr/system/files/NUT2012SA0103Ra-3.pdf
- THE LANCET. Food in the Anthropocene : the EAT–LancetCommission on healthy diets from sustainable food systems, 2019.
https://www.thelancet.com/commissions/EAT
- Rapport de Synthèse de la Commission EAT-Lancet, 2021 https://eatforum.org/content/uploads/2019/07/EAT-Lancet_Commission_Summary_Report_French.pdf
- Le revers de notre assiette, Changer d’alimentation pour préserver notre santé et notre environnement, 2021.
https://solagro.org/images/imagesCK/files/publications/f85_le-revers-de-notre-assiette-web.pdf?token=070ac51937d18853598af7798b0f101b
- La situation mondiale des pêches et de l’aquaculture, 2018. https://www.fao.org/publications/card/fr/c/I9540FR/
- Scénario Afterres 2050, 2021. https://solagro.org/images/imagesCK/files/publications/f98_2021_plaquetteafterres-4-pages.pdf
Livres :
- Comment j’ai arrêté de manger les animaux, Hugo Clément. Editions Seuil, 2019.
- La révolution agroécologique – Nourrir tous les humains sans détruire la planète, Alain Olivier, Ecosociete Eds, 2021
- L’agroécologie : une réponse locale et globale, Hélène Hollard, Bénigne Joliet, Sang de la terre, 2015
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