Retour sur la présentation du projet COOLCHOOLS (2022-2025) par Nathalie BLANC et Céline CLAUZEL, géographes, lors du séminaire « cours d’école » du 13 décembre 2023 à l’école du Neufeld à Strasbourg.
Le projet COOLSCHOOLS.
COOLSCHOOLS est un projet de recherche appliquée transdisciplinaire qui examine le potentiel des « solutions fondées sur la nature »* pour aider les écoles à s’adapter au changement climatique. Quatre villes pilotes européennes y participent : Paris, Rotterdam, Bruxelles et Barcelone.
Le programme de recherche européen comprend des axes de travail très variés suivant les villes. A Rotterdam, c’est la question de la santé qui est au cœur des études menées. A Bruxelles, celle de l’égalité dans l’usage des sols (à quelles classes sociales ces opérations de végétalisation profitent-elles ?) A Paris, le choix a été fait de s’intéresser à la biodiversité.
* Solutions fondées sur la nature :
Actions visant à protéger, gérer de manière durable et restaurer des écosystèmes naturels ou modifiés pour relever directement les défis de société de manière efficace et adaptative, tout en assurant le bien-être humain et en produisant des bénéfices pour la biodiversité.
Plan des écoles et squares de Paris ayant fait l’objet d’inventaires de biodiversité.
Le contexte de la Ville de Paris.
A Paris, le bâti scolaire est plus dense, minéral et contraint qu’à Strasbourg. Il y a très peu de perméabilité entre l’école et la rue. Les deux sont tellement séparées que l’on peut presque voir l’école comme un milieu « carcéral ».
Fin 2023, 125 cours étaient déjà végétalisées, l’objectif fixé étant de 650 cours à l’horizon 2040, soit un rythme de 25 écoles par an. Il existe une grande diversité dans les cours d’école à Paris, mais un grand nombre d’entre elles sont très petites. Un projet complémentaire de la Ville concerne les « rues Oasis ». Il s’agit de transformer les rues en proximité des cours d’école pour étendre le programme de végétalisation. Par ailleurs, Paris souffre d’un manque cruel d’espaces verts. La ville est même considérée comme la capitale la plus meurtrière en cas de chaleur extrême.
L’apparition tardive de l’enjeu de la biodiversité dans le projet des Cours OASIS.
Lorsque le programme de la Ville de Paris a commencé, l’optique était uniquement de créer des oasis climatiques. Les premiers programmes de recherche consistaient donc dans la mise au point de capteurs pour mesurer le rafraîchissement obtenu. Cela a créée beaucoup de déception, car il faut laisser le temps à la végétation de s’installer avant d’obtenir des résultats. Les autres enjeux identifiés étaient ceux de l’infiltration des eaux de pluie, d’aménagement ludique de la cour et d’ouverture aux riverains.
En revanche, l’enjeu de la biodiversité n’a été introduit que récemment, il y a deux ans. Les cours d’école sont à présent étudiées pour le potentiel qu’elles offrent en termes d’habitat et de corridor pour la diversité biologique, en complément des parcs et jardins et en interaction avec ces derniers. La cour d’école est également prise en compte à présent comme support pour renforcer la relation des enfants au vivant.
Premier volet de l’étude : les inventaires de biodiversité
Les hypothèses de départ étaient les suivantes :
- La désimperméabilisation des sols et de l’apport de terre devaient avoir un effet sur la diversification de la biodiversité spontanée.
- Une corrélation devait exister entre l’importance de la surface plantée, la diversité des espèces présentes et l’abondance des individus observés
- Une similarité devait se retrouver entre la biodiversité présente dans les cours et celle retrouvée dans les espaces verts
La méthode mise en œuvre.
Un échantillonnage d’arthropodes* a été effectué dans 16 écoles et 16 espaces verts, ce dans les trois strates : herbacée, arbustive et arborée. Le choix des arthropodes a été motivé par le fait que ce sont les premiers animaux qui apparaissent dans un nouveau milieu et que leur mobilité permet d’avoir une vue dynamique de l’évolution de la biodiversité spontanée. C’est un protocole non invasif qui a été retenu, dans un souci de cohérence avec le discours adressé aux enfants sur le respect de la nature. Les individus sont capturés, identifiés, photographiés, puis relâchés.
* Arthropodes :
Animaux invertébrés au corps formé de segments articulés. Dans la classification phylogénétique, les arthropodes constituent un embranchement auxquels appartiennent les crustacés, les insectes, les arachnides…
Les résultats obtenus.
Près de 8.000 individus ont été recueillis, de 442 espèces différentes, la grande majorité des individus appartenant à l’ordre des hémiptères (punaises).
Les 16 écoles étudiées ont fait apparaître une diversité frappante de résultats. Par ailleurs, la comparaison avec les espaces verts proches montre que la richesse y est un peu supérieure que dans les cours.
Parmi les facteurs d’explication de ces résultats divergents figurent la surface de végétation présente dans l’école, mais aussi autour de l’école, ainsi que la nature des communautés végétales et leur diversité. La présence des trois strates peut aussi être un élément favorable. Des inventaires floristiques vont être réalisés pour compléter ces données. Un autre résultat a constitué une surprise : en effet, les espèces sont à 70 % différentes entre les cours d’une part et les parcs et jardins, d’autre part. Cela peut s’expliquer par l’ancienneté de la végétation et la présence de communautés végétales différentes.
Deuxième volet de l’étude : les perceptions de la biodiversité par les enfants.
Le choix des arthropodes présentait un avantage : ce sont les espèces qui font le plus réagir ! Dans le cadre de l’étude de leur perception auprès des enfants, ils ont été nommés plus simplement « petites bêtes ».
Des images ont été présentées aux enfants, avec des choix à réaliser. Tout d’abord, il a été demandé aux enfants quelle était leur petite bête préférée. C’est le papillon qui est arrivé loin en tête, la coccinelle ayant eu un assez bon score aussi ! Il leur a ensuite été proposé de qualifier leur réaction par rapport à la petite bête, laquelle ils acceptaient de prendre dans la main en particulier. La réaction était décomposée en trois sentiments : celles qu’ils aiment le plus, celle dont ils ont peur (araignée, abeille, guêpe), celle qui les dégoûte (punaise, mille pattes, limace).
Dessins d’enfants sur les petites bêtes.
Quelles petites bêtes aiment les CE2-CM2 ?
La recherche a également porté sur l’attitude des enfants quant au respect de la vie. La grande majorité des enfants a indiqué ne pas écraser les petites bêtes, ce qui peut faire naître un doute sur la spontanéité de la réponse… Lorsqu’ils indiquaient les écraser, le motif était principalement de ne pas avoir fait « exprès ». Lorsqu’ils indiquaient ne pas les écraser, le motif était lié à de l’empathie, ou parce que « c’est la nature ».
Enfin, des questions ont porté sur leur connaissance des insectes. Cette dernière s’avère très relative : si la majorité des enfants ont mentionné qu’ils avaient six pattes, les réponses « huit pattes » , « 25 pattes » et « 1000 pattes » ont parfois aussi été cochées !… Quant aux noms d’espèces connues des enfants, une assez grande diversité est ressortie de l’étude.
Troisième volet de l’étude : gouvernance et gestion de la biodiversité.
Pour comprendre les modes de gouvernance en matière de production de la biodiversité, les chercheurs de Paris et de Bruxelles ont compilé de nombreux ouvrages sur la question de la végétalisation des cours d’école. Ils ont aussi réalisé des entretiens auprès de responsables des équipes municipales et de l’ensemble de la chaîne de décision et de réalisation, afin de comprendre les facteurs de réussite ou d’échec des cours végétalisées. Il est intéressant de noter que la production de biodiversité peut avoir lieu, en connaissance de cause … ou non ! En effet, aujourd’hui encore, à Paris, l’arbre est considéré comme du mobilier urbain. Dans l’esprit de nombreuses personnes, il rafraîchit, mais il ne produit pas du vivant ! On n’a souvent pas l’idée que l’arbre va apporter d’autres espèces, des insectes par exemple, ce qui révèle une grande méconnaissance du vivant et de son aspect systémique.
L’étude des enjeux sur cette question a été menée concernant les phases successives de conception de la cour, puis de sa réalisation, puis de l’entretien et de l’usage de la cour. Enfin, des enjeux transversaux, tels que la question de la saleté, ont été abordés. Par exemple, comment faire évoluer les représentations sur ce qui est risqué ou sale, pour les enfants. Cette question est source d’étonnement pour les néerlandais, qui ont l’habitude de mettre des vêtements adaptés aux enfants lorsqu’ils arrivent à l’école et de les laver en machine le soir…
Ecole maternelle Tandou, Paris, septembre 2021
S’agissant de la phase d’entretien des cours, plusieurs points ont été identifiés :
- Le choix de la personne responsable de la végétation au sein de l’école, ce dès la réception de la cour, qui va en assurer un suivi régulier. La transmission de ses savoirs et compétences lorsqu’elle quitte l’école s’avère également un défi fréquent. L’une des bonnes pratiques à systématiser consiste à encourager des « éco-délégués » au sein des structures.
- La valorisation de la dimension pédagogique et ludique de la phase d’entretien des cours. A Paris, la prise en charge de l’accompagnement se fait au cas par cas, au moyen de contrats avec des associations, pour le potager, la gestion du compost… aucun financement n’étant prévu par la Ville, l’existence de cet accompagnement est aléatoire.
- L’identification de relais pour participer à l’entretien. La situation est très diverse là aussi : les équipes sont parfois très partantes, des coopératives de parents se créent, par exemple, pour trouver des graines… mais parfois aucun relais ne se met en place… la transmission des informations aux personnes qui prennent la suite apparaît à cet égard essentielle pour éviter des pratiques contradictoires.
- La sensibilisation les élèves à l’utilisation des ressources naturelles. La question de la classe sociale des enfants doit être ici appréhendée comme un préalable : lorsque les enfants n’ont pas grandi dans un rapport de proximité avec la nature, il ne s’agit pas seulement de les sensibiliser, mais de créer la volonté d’entretenir cette relation, pour aller au-delà des pratiques de leur milieu éducatif familial.
- Le soutien aux enseignants par la fourniture de ressources pédagogiques. Le besoin est parfois très grand, certains enseignants n’ayant aucune notion quant à l’entretien de la végétation ou du potager.
- La conception des lieux pour faire cours en extérieur. Cet enjeu doit être appréhendé en tenant compte de la taille de la cour et s’avère complexe dans les cours de petite taille, fréquentes à Paris. C’est surtout sensible à l’égard des activités sportives, le professeur pouvant se sentir lésé du seul espace où les enfants pouvaient courir.
Auditorium en saule plessé. Ecole Gustave Doré, Strasbourg mai 2024.
En conclusion, il s’avère nécessaire de travailler à la redéfinition des métiers par « l’écologisation des écoles ». Il est apparu par exemple que les agents d’entretien pouvaient dans certains cas tirer un bénéfice de la végétalisation de la cour, leur rapport aux enfants pouvant s’enrichir de nouveaux rôles, élargissant leur fonction traditionnelle liée au nettoyage.
Les résultats obtenus dans le cadre du projet COOLSCHOOLS permettent aux équipes de recherche de formuler des recommandations aux municipalités. A Paris, la leçon principale est qu’on ne rafraîchit pas « comme ça » une cour d’école. Il est nécessaire de développer une conception globale, systémique de la nature dans les cours , englobant les interactions des espaces entre eux et pas seulement « à l’arbre ».
Pour aller plus loin :
Support de présentation de Nathalie BLANC et Céline CLAUZEL :
https://zaeu-strasbourg.eu/wp-content/uploads/2024/01/N.-BLANC-C.-CLAUZEL-Coolschools.pdf
Le projet Coolschools :
Les Cours OASIS à Paris, site du CAUE 75 :
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