Les espèces invasives :
quatre exemples au niveau régional
Proposé par Laëtitia FREY et Julien POTHIER
Étudiant·es du Mastère Spécialisé® Éco-conseiller | P36
Introduction
Qui n’a pas entendu parler des espèces invasives (exemple du frelon asiatique) et de leurs conséquences généralement néfastes pour la biodiversité, la santé ou l’économie ?[1]
Les espèces invasives, ou espèces exotiques envahissante (EEE) occupent par l’intervention humaine un territoire extérieur à leur habitat naturel, prospèrent et menacent les écosystèmes.[2] On estime leur nombre en France à plus de 1400 et le coût pour la réparation des dommages causés en Europe à plus de 12,5 milliards d’euros annuellement.[3]
Les EEE sont introduites par l’homme sciemment par intérêt esthétique ou économique, ou bien fortuitement à cause de la multiplication des échanges internationaux ou du réchauffement climatique.[4] Des listes d’EEE sont mises à jour régulièrement par l’union européenne et la France (Art. 411-5 et 411-6 du code de l’environnement) afin d’interdire leurs ventes et transports et d’endiguer le phénomène.[5]
Dans cet article, nous nous sommes intéressés à quatre espèces exotiques envahissantes présentes en Alsace afin d’acquérir une vision concrète du phénomène et d’en tirer des conclusions forcément partielles, mais plus parlantes.
Le Moustique tigre
Le moustique tigre (Aedes Albopictus S.) est un insecte, originaire d’Asie, apparu en France en 2004[6] dans les Alpes Maritimes. Il serait arrivé par bateau dans un conteneur rempli de pneus.[7] Du fait du réchauffement climatique, il s’est acclimaté et s’est implanté durablement dans l’Hexagone. Une reproduction ultra rapide (moins de 10 jours) dans un volume d’eau infime (l’équivalent d’un bouchon) ont permis à cet insecte une colonisation de plus de 75 % de la France en à peine 20 ans.[6] Il est présent dans les milieux urbains et péri-urbains, privilégiant les lieux habités par l’Homme, qui constitue son garde-manger favori de mai à novembre. La problématique est qu’il est un vecteur de maladies pouvant être très graves et génératrices d’épidémies : la dengue (apparition en 2010 à Nice), le zika ou encore le chikungunya.[8] La transmission se produit quand un moustique déjà infecté pique un sujet sain.
Enjeu de santé publique, les différentes actions mises en œuvre, non pas pour limiter sa prolifération, mais tout du moins neutraliser les individus porteurs du virus, se résume à des gestes simples tels que limiter les eaux stagnantes ou encore la création d’une plateforme de signalement pour tous[9] avec des acteurs locaux (SLM67 : syndicat de lutte contre les moustiques du Bas-Rhin). Des actions plus lourdes, comme des opérations de démoustication menées par l’ARS quand une transmission de maladie est identifiée, par le biais de pulvérisation d’insecticide, peuvent avoir lieu,[10] mais cela impacte une forte diminution de toute la biodiversité sur le site traité.
La Balsamine de l’Himalaya
La balsamine de l’Himalaya (Impatiens Glandulifera R.) est une grande plante à fleurs roses originaire de l’Inde. Ses graines sont contenues dans des capsules qui éclatent à maturité et sont projetées jusqu’à de 5m.[11]
Elle apprécie l’humidité et les sols riches et se développe principalement sur les bords des rivières. Elle fut rapportée à Londres en 1839. Elle s’est répandue en Europe pour atteindre l’Alsace au début du 20ème siècle.[12] Elle possède un fort potentiel reproducteur et peut avancer de 38 km par an [7].
En effet, lors de crues, un fragment échoué sur une berge aval propice peut se bouturer.
Balsamine de l’Himalaya
dans un fourré à Muttersholz
Octobre 2024 (Photo L. Frey)
La balsamine de l’Himalaya a un fort impact sur la biodiversité. Elle modifie la répartition d’espèces vivant dans son biotope. L’ombre de ses colonies ajoutée à sa capacité à inhiber la croissance des plantes proches en fait un adversaire redoutable. Après floraison, elle disparait et les berges des rivières sont mises à nu, entrainant leur fragilisation.
En cas de hautes eaux, la présence de cette plante peut causer une diminution des capacités hydrauliques des rivières et un risque d’aggravation des crues.[12]
L’arrachage semble être la seule possibilité de contrôle. Dans les cas de grandes colonies le fauchage (répété sur un cycle de trois ans) est efficace avec le risque de détruire d’autres plantes présentes. Il est indispensable de s’assurer que les déchets soient détruits, le risque de repousse étant avéré.
La Renouée du Japon
La renouée du Japon (Reynoutria japonica H.) vit dans les milieux continentaux et principalement sur les berges des cours d’eau.
Son introduction remonte au milieu du XIXème siècle, quand elle fut introduite volontairement comme plante ornementale par un chirurgien revenu du Japon.
Champ de Renouée
du Japon à Rosheim (67)
Octobre 2024 (Photo L. Frey)
C’est une plante rhizomateuse, dont les racines s’étendent jusqu’à 1 mètre de profondeur et plusieurs mètres latéralement bien au-delà des tiges aériennes. Par sa croissance rapide (environ 10 cm/jour), cette plante devient vite colossale, induisant différentes problématiques :
· une baisse de la luminosité environnante déséquilibrant le milieu aquatique et ses différents acteurs (la faune et la flore), mais également des activités humaines par gigantisme ;
· une concurrence avec les espèces endémiques et une volumétrie importante, grignotant terres agricoles ou routes, qu’il est long et fastidieux d’évacuer.[13]
Les modes d’éradication sont similaires à la balsamine.[14] Il s’y ajoute l’éco-pâturage,[15] comme mis en place par la ville d’Eschau en Alsace, par des moutons qui se nourrissent des feuilles entraînant un affaiblissement de la plante.
L’Ouette d’Égypte
L’Ouette d’Égypte (Alopochen aegyptiaca L.) est une oie originaire d’Afrique [16,17] qui apprécie les espaces aquatiques. Cet oiseau de collection fût rapporté en Europe au 17e siècle. Des individus échappés ont permis son développement en Europe du Nord[18] et finalement en Alsace dès 1971.
L’ouette est envahissante car prolifique. Elle peut utiliser des grands nids existants comme ceux de la cigogne, au besoin en chassant les propriétaires. Elle est aussi agressive pendant la reproduction quand le couple défend son territoire et chasse les autres animaux.[18,19,20].
Son impact écologique et économique semble pourtant faible.[21] L’hostilité de l’ouette ne met pas en danger une espèce en particulier. Elle ne représente pas de risque de destruction pour les plantes cultivées. Mais le risque d’eutrophisation des plans d’eau dû aux déjections est évoqué, impliquant des conséquences pour la vie des étangs et leur activité économique.
Finalement, cette espèce listée EEE depuis 2011 est désormais installée sur le Nord-Est de la France. Il semblerait que, soit ses impacts négatifs aient été revus à la baisse, soit sa chasse [22] ait permis d’en réduire l’impact sur l’environnement et l’économie.
Couple d’ouette d’Égypte
Octobre 2024 (Photo J. Pothier)
Conclusion
Que ce soit pour raison écologique, économique ou encore de santé, la prolifération des espèces invasives est un vrai enjeu demandant une mobilisation de tous les acteurs. Que ce soit l’Etat, les législateurs, les collectivités, les entreprises et bien entendu les citoyens, il convient de faire preuve d’une extrême vigilance et de trouver des solutions pour limiter les impacts de ces “nouvelles” espèces, en assurant des mesures de protection de l’environnement, de la biodiversité et des humains.
Quelques gestes simples, comme vider les coupelles d’eau au jardin, ne pas nourrir les animaux sauvages et signaler en ligne la présence d’espèces invasives contribuent à l’effort collectif. Parmi les espèces citées, le cas particulier de l’ouette montre que le contrôle des populations peut réduire les effets négatifs sur l’environnement alors que dans le cas du moustique tigre il faut continuer à surveiller très attentivement les effets sanitaires éventuels.
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Sources bibliographiques
1. Espèces invasives, sont-elles nocives ? Arte. Consulté le 23/10/2024. Lien
2. Office français de la biodiversité. Consulté le 23/10/2024 Lien
3. Plan d’action pour prévenir l’introduction et la propagation des espèces exotiques envahissantes 2022-2030. Consulté le 23/10/2024 Lien
4. Les espèces envahissantes, enjeux et impacts. Site de l’OFB. Consulté le 23/10/2024 Lien
5. Lois sur les espèces exotiques envahissantes. Site de Légifrance. Consulté le 23/10/2024 Lien
6. Cartes de présence du moustique tigre en France métropolitaine – Santé.Gouv.fr Consulté le 23/10/2024. Lien
7. Comment le moustique tigre a colonisé la France métropolitaine en seulement 20 ans. Ouest-France du 21/03/2024 Consulté le 23/10/2024. Lien
8. Moustique tigre comment se protéger ? ARS Auvergne Rhône Alpes. Consulté le 23/10/2024. Lien
9. Plateforme de signalement moustique tigre. ANSES. Consulté le 23/10/2023. Lien
10. La lutte anti-vectorielle, des stratégies multiples contre les vecteurs. ANSES. Consulté le 23/10/2024. Lien
11. La balsamine de l’Himalaya. Conservatoire d’espaces naturels du val de Loire. Consulté le 23/10/2024. Lien
12. Bellevert, P. Rapport de stage de Master Écologie et environnement, 2013, Université catholique de l’Ouest. Lien
13. Reynoutria Japonica. Centre de ressource des espèces exotiques envahissantes. Consulté le 23/10/2024. Lien
14. Renouées asiatiques, Expérimentations d’une méthode de gestion mécanisée des renouées en France, Suisse et Allemagne – Espèces Exotiques Envahissantes. Consulté le 23/10/2024. Lien
15. Ville d’Eschau. Consulté le 23/10/2024. Lien
16. Le guide ornitho, Mullarney, K. ; Svensson, L. ; Zetterström, D. ; Grant, P. J. 1999, Delachaux et Niestlé – Éditeurs
16. Egyptian goose. Site de Birdlife International. Consulté le 23/10/2024. Lien
17. Fouque, C. ; Benmergui., M. ; Bullifon, F. ; Schricke, V. Faune Sauvage, 2012, 296. Lien
18. Espèces invasives en France : En Alsace, l’ouette d’Égypte n’hésite pas à agresser d’autres oiseaux. 20 minutes. Publié le 2/05/2018 . Consulté le 23/10/2024. Lien
19. « Déjections partout », « nuisance », « agressive »… L’ouette d’Égypte, espèce invasive, s’installe dans l’est de la France et menace d’autres espèces. Le Figaro. Publié le 17/10/2024. Consulté le 23/10/2024. Lien
20. État des lieux des connaissances sur les populations de l’Ouette d’Égypte dans le département du Nord. Groupe ornithologique et naturaliste du Nord Pas de Calais. 2016). Lien
21. Bulletin LPO en ligne. Consulté le 23/10/2024. Lien
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