« Tempête Zyprian – juillet 2021 – Façade atlantique » Crédit Météo France
Nos villes côtières sont à la croisée des chemins :
Résister ou reculer,
comment vivre avec les risques croissants d’inondation ?
Proposé par Frédéric ADOLF et Gérard BOZEC
Étudiants du Mastère Spécialisé® Éco-conseiller | P35
1. Montée des eaux et risques de submersion
La submersion intervient lorsque la mer et l’océan franchissent les barrières (naturelles ou construites par l’homme). Si, en temps normal, la seule montée des eaux liée au réchauffement du climat ne met pas en péril les installations littorales, c’est lors de conjonctions entre des fortes marées hautes et des tempêtes que ces barrières risquent d’être franchies (comme à la Nouvelle-Orléans lors de l’ouragan Katrina).
Lors de ces conjonctions, la faible pression atmosphérique (chaque hectopascal en dessous de la pression normale de 1 013 hPa ajoute 1 cm d’élévation) et la poussée des vents sur la masse d’eau océanique contribuent à créer une onde de tempête.
Par exemple, l’ouragan « Juan » (28-29 septembre 2003) a créé une onde de tempête de 1,50 m d’amplitude dans le port d’Halifax, Canada (dont 39 cm dus à la dépression), s’ajoutant à celle de la marée, battant ainsi le record du niveau d’eau enregistrée dans le port. Si l’onde de tempête avait été synchronisée avec la marée haute, ce niveau record aurait été augmenté de 50 cm supplémentaires !
L’amplitude de ces ondes de tempêtes dépend des conditions météo bien sûr, mais, comme pour les marées, la topographie locale joue un rôle prépondérant, ce qui rend complexe la conception des installations de protection et rend impossible le choix d’une solution standard, adaptable à toutes les configurations.
Dans certains cas, ces infrastructures peuvent même être contre productives : une digue peut parfois augmenter l’amplitude d’une onde de tempête (par modification défavorable de la topographie).
La montée des eaux due au réchauffement climatique (environ 25 cm en 2 050 selon le GIEC) vient ajouter une sur-élévation au niveau normal, va multiplier les occurrences de submersion (la force nécessaire d’une tempête pour provoquer une submersion sera plus faible, donc des événements “moins exceptionnels” qu’aujourd’hui dépasseront les capacités de nos infrastructures de protection).
2. Un risque multifactoriel et complexe !
La submersion n’est pas le seul risque auxquels sont exposés nos littoraux. La montée du niveau de la mer fait aussi monter le niveau des fleuves à l’embouchure, et, par ricochet, le niveau des nappes d’eau souterraines dites d’accompagnement et des deltas. Les risques d’inondation par remontée de nappes ou débordement des cours d’eau s’en trouvent aggravés.
Une fois de plus, les facteurs défavorables peuvent se cumuler ; si une forte dépression coïncidant avec une grande marée frappe l’embouchure d’un fleuve déjà en crue, l’écoulement de ce fleuve vers la mer peut être fortement ralenti (voire s’arrêter ponctuellement). Le fleuve en crue ne peut alors que sortir de son lit encore davantage. Dans le pire des cas, une vague d’eau de mer (salée) peut remonter l’embouchure du fleuve, et en débordant du lit du fleuve, saliniser les sols voisins.
De plus, la montée du niveau des océans due au réchauffement climatique impacte bon nombre de ces facteurs et rend mécaniquement plus fréquents les événements susceptibles de dépasser les capacités des infrastructures que nous avons établies dans les régions côtières (ceci indépendamment de toute augmentation, probable selon le GIEC, d’intensité ou de fréquence de ces événements exceptionnels).
3. Les collectivités territoriales face à l’enjeu croissant de l’exposition aux inondations
Le risque d’inondation impacte 40 % de la population mondiale qui vit actuellement à moins de 60 kms de la côte. A l’échelon national, 8 millions d’habitants sont concernés. La densité démographique en zone littorale est aujourd’hui 2,4 fois plus élevée que la moyenne nationale. Les constructions sur les communes côtières connaissent actuellement un rythme 3,5 fois plus élevé que sur le reste du territoire. Une croissance de 4,5 millions d’habitants sur le littoral est prévue à l’horizon 2040.
Dans ce contexte de pression croissante, la loi GEMAPI « GEstion des Milieux Aquatiques et de Prévention des Inondations » est instaurée pour assurer entre autres la mission de défense contre les inondations et contre la mer.
Le 1er janvier 2018, les collectivités locales (notamment les intercommunalités) se voient attribuer cette compétence et deviennent, de fait, responsables de la protection des populations et des biens des inondations. En première ligne, elles disposent de deux outils conventionnés avec l’État pour agir, à savoir :
- le Plan de Prévention des Risques naturels d’Inondation (PPRI) qui encadre en autre, la délivrance des permis de construire en zones inondables.
- le Plan d’Action de Prévention des Inondations (PAPI) qui vise à identifier, anticiper et gérer le risque d’inondations.
4. Que faire face aux vagues : résister ou reculer ?
Dans les territoires littoraux, confrontés à la fois aux dynamiques d’érosion ou de submersion et à une demande croissante d’aménagement des côtes, les élus locaux se retrouvent désormais face à cette double contrainte.
Faut-il protéger le trait de côte à tout prix, indemniser les victimes, renforcer et reconstruire inlassablement les digues à chaque assaut des vagues ? Autrement dit : RESISTER !
Faut-il, au contraire, laisser l’eau pénétrer dans les terres, adapter et redéployer l’activité sur des zones arrière de plateaux ? En d’autres termes : RECULER !
Si le recul parait s’imposer, sa mise en œuvre n’est pas aisée. Trois stratégies ont été généralement envisagées pour faire face au risque :
- stabiliser le trait de côte et renforcer les ouvrages de protection existants ;
- stabiliser et introduire des zones de transition entre mer et terre en ouvrant de nouvelles portions du territoire aux activités (conchyliculture par exemple) ;
- reculer et redéployer les activités des zones les plus basses vers les zones de plateaux en laissant l’eau pénétrer dans les terres.
Des trois politiques, la première et en partie la deuxième l’ont largement emporté, autrement dit la conservation et le renforcement du trait de côte en l’état. La complexité des intérêts publics et privés pousse à la résistance.
5. Adapter des stratégies et des solutions fondées sur la nature
Afin de protéger leur littoral des risques climatiques, des collectivités engagent désormais des solutions fondées sur la nature. Restaurer des écosystèmes naturels tels que les plages, les dunes, les marais, les prés salés, les estuaires, les lagunes ou les mangroves assure un tampon et une barrière durable face au vent, au sable, à la houle tout en permettant une mobilité du trait de côte.
Les expériences montrent que selon le type d’écosystème, les plantes des marais réduisent l’érosion de 80 % en comparaison à des zones non végétalisées et abaissent significativement la hauteur de la houle.
Face à la difficulté des acteurs à engager un scénario durable de gestion du risque d’inondation, des alternatives s’appuient sur la patrimonialisation des espaces littoraux à risque par les collectivités. A travers la préemption progressive des bandes littorales elles peuvent les valoriser soit au titre de la protection de la biodiversité, ou à défaut, de combiner un usage touristique raisonné et conventionné. Des occupations saisonnières sont envisagées pour des structures nomades.
L’aménagement des espaces urbains sensibles prévoit la pénétration de l’eau en les ouvrant davantage et en réduisant la vulnérabilité des bâtiments.
Enfin, les espaces non bâtis sont mis à profit pour penser le stockage de l’eau et non pour construire de nouveaux bâtiments.
Conclusion
Les phénomènes de submersion marines et d’érosion vont s’intensifier au fil du temps. Résister ou reculer ? La question n’est pas nouvelle. En 1974, la Délégation à l’Aménagement du Territoire et à l’Action Régionale estimait déjà que « l’aménagement en profondeur consiste à réserver l’occupation directe du littoral aux activités strictement liées à la mer et à reculer vers l’intérieur celles qui n’ont pas nécessairement besoin d’être sur le rivage ».
Si la tentation de résister aux éléments naturels par la fortification des littoraux subsiste, la conscience du risque et l’acceptabilité sociale des mesures tendent à reconsidérer la place de la nature, comme une alliée incontournable à la vie de ces territoires.
Les solutions fondées sur la nature (Crédit UICN)
Mot de la promo P35 : Frédéric ADOLF et Gérard BOZEC – 12 février 2024
Sources bibliographiques
Sources :
- Dossier expert sur les inondations, Dossier thématique Géorisques.gouv.fr, consulté le 27.01.2024 ;
https://www.georisques.gouv.fr/consulter-les-dossiers-thematiques/inondations
- Effets des structures rigides de protection sur la dynamique des risques naturels côtiers : érosion et submersion, Pascal Bernatchez ;
http://www.geohazard.ggl.ulaval.ca/evaluation/bernatchez.pdf
- La crue des eaux et les vagues causées par l’ouragan Juan à Halifax, Peter Bowyer, 17 octobre 2003 ;
https://www.ec.gc.ca/ouragans-hurricanes/default.asp?lang=fr&n=BAAEAC12-1
- Les risques d’inondation, infographie SDEA, consulté le 27.01.2024 ;
https://www.sdea.fr/index.php/fr/l-eau/les-inondations/les-risques-d-inondations
- Immobilier : « Actuellement, en Angleterre, une propriété sur six est exposée au risque d’inondation » Article Le Monde 10/06/2023
https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/06/10/immobilier-actuellement-en-angleterre-une-propriete-sur-six-est-exposee-au-risque-d-inondation_6177017_3232.html - Le Pas-de-Calais passe en vigilance rouge pluie inondation – 8/06/2023 | Le Monde https://www.lemonde.fr/planete/article/2023/11/08/dans-le-pas-de-calais-pas-de-perspective-de-decrue-avant-au-moins-vendredi-selon-christophe-bechu_6198969_3244.html
- https://www.lemonde.fr/planete/article/2023/11/13/dans-le-pas-de-calais-la-pluie-est-de-retour-apres-un-week-end-d-accalmie_6199881_3244.html
- https://www.lemonde.fr/climat/article/2023/12/08/en-polynesie-de-fortes-pluies-provoquent-l-inondation-de-centaines-de-maisons-et-emportent-deux-ponts-a-tahiti_6204589_1652612.html
- https://www.lemonde.fr/economie/article/2023/12/30/plus-d-une-quarantaine-de-trains-eurostar-annules-en-raison-d-une-inondation-des-voies-pres-de-londres_6208402_3235.html
- https://www.lemonde.fr/planete/article/2024/01/01/pluies-et-inondations-neuf-departements-du-quart-nord-ouest-de-la-france-places-en-vigilance-orange-mardi_6208654_3244.html
- https://www.ecologie.gouv.fr/pluie-et-inondation
- https://www.sudouest.fr/environnement/meteo/intemperies/inondations-et-crues-de-l-ile-de-re-au-pays-basque-en-passant-par-bordeaux-ou-agen-ces-digues-qui-protegent-le-sud-ouest-18289373.php
- sfn-littoraux-web.pdf (uicn.fr)
- https://www.caissedesdepots.fr/blog/auteurs/Fran%C3%A7ois_Bafoil
Informations générales :
1. Submersions, inondations et crues, Sud Ouest, 28.01.2024 ;
- Marée, surcote et onde de tempête ;
https://fr.wikipedia.org/wiki/Mar%C3%A9e#Coefficient_de_mar%C3%A9es
https://fr.wikipedia.org/wiki/Onde_de_temp%C3%AAte#cite_note-4
https://fr.wikipedia.org/wiki/Surcote
Pour aller plus loin :
- 2. https://www.dailymotion.com/video/x8ow66u
La Ville de Strasbourg propose un parcours à travers le centre-ville pour découvrir les aménagements limitant les risques associés aux inondation
- 2. https://www.dailymotion.com/video/x8ow66u
La Ville de Strasbourg propose un parcours à travers le centre-ville pour découvrir les aménagements limitant les risques associés aux inondation
- https://www.youtube.com/watch?v=MMMapzdzdQc
Une méthode originale de sensibilisation aux risques d’inondation. Au collège d’Albret de Dax, deux comédiennes un peu loufoques sont intervenues pour expliquer aux élèves le comportement à adopter en cas d’inondation.
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