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Faire renaître une forêt primaire en Europe de l’Ouest

La création d’une forêt primaire en Europe de l’Ouest, voilà le projet de l’association Francis HALLE pour la forêt primaire.
Le principe est simple : laisser évoluer naturellement, sur 70 000 hectares, une forêt pour qu’elle retrouve son état d’origine. Pas d’intervention humaine, pas d’exploitation ou défrichement.
Une évolution, par elle-même, de sa faune et de sa flore sur 10 siècles.

Proposé par Alexandra RIPP et Séverine RUDLOFF (P33)

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© Francis Hallé

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Forêt primaire : simple dans son principe.
Ambitieuse dans sa réalisation.

 

Quelle est la différence entre une forêt primaire et secondaire ?

 

Qu’est-ce qu’une forêt primaire ? c’est une forêt qui n’a jamais été impactée par l’homme, cultivée, défrichée, exploitée… ou qui a eu le temps d’absorber ces effets et redevenir primaire, le cas échéant.

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© Francis Hallé

C’est une forêt peuplée d’espèces indigènes. C’est une forêt très haute, très belle, très riche en formes de vies.  On peut s’y déplacer facilement, on peut même y courir. C’est un réseau incroyablement complexe d’interactions entre les êtres vivants, parfaitement équilibré. Elle est constituée des sols les plus riches qui accueillent la plus haute diversité d’espèces animales et végétales.
La forêt secondaire, quant à elle, a subi des perturbations profondes d’origine humaine. Du fait du caractère complexe du réseau d’interactions, celui-ci est extrêmement fragile. Toutes perturbations engendrent très rapidement la perte des qualités biologiques. Le temps seul et la paix permettent à la forêt de se régénérer.

Francis Hallé parle de la forêt primaire comme « d’un grand choc climatique, esthétique et émotionnel ».

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Qui est Francis Hallé ?

Francis HALLÉ, né en 1983 est un botaniste et biologiste français, spécialiste reconnu internationalement des forêts tropicales. Auteur de nombreux livres, il a également co-écrit le scénario du film « il était une forêt » réalisé par Luc Jacquet.

Il y raconte comment il a pu explorer la canopée des forêts tropicales au moyen du « radeau des cimes », ballon dirigeable mis au point spécifiquement pour explorer ce lieu abritant la plus importante biodiversité au monde.

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Une partie de l’équipe scientifique de l’association lors d’un voyage d’étude dans les Vosges du Nord en 2021. De gauche à droite : Béatrice Kremer-Cochet, Emmanuel Torquebiau, Gilbert Cochet, Yanis Marcillaud,
Francis Hallé, Éric Fabre.
© Pierre Chatagnon


Pourquoi vouloir faire renaitre une forêt primaire en Europe de l’Ouest ?

De même que la forêt primaire propose le maximum de fertilité et de stabilité des sols, elle permet un maximum de fixation du carbone. Les forêts naturelles accueillent ~ 75 % de la biodiversité terrestre mondiale, elles régulent activement le climat.

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© Francis Hallé

Favoriser la renaissance d’une forêt primaire en Europe c’est favoriser le vivant, la nature, le climat et les conditions de vie humaine. Permettre cette renaissance, c’est changer de paradigme et se souvenir que les forêts n’ont jamais eu besoin de l’homme pour vivre. Il s’agit de lâcher prise et redonner l’espace au vivant.


Concrètement comment recréer une forêt primaire ?

La durée cible est de 1000 ans à partir d’un sol nu et de 800 ans à partir d’une forêt secondaire. C’est donc un projet transgénérationnel. La surface cible est de 70 000 hectares, soit ~7 fois Paris. La forêt se veut européenne et transfrontalière. Cette superficie est nécessaire pour permettre la vie des grands animaux : cerfs, sangliers, bisons, lynx et chats sauvages, loups et ours. Les terrains visés relèveraient principalement du domaine public tout en associant les propriétaires et gestionnaires forestiers privés intéressés. L’enjeu est d’imaginer une nouvelle relation à la nature, une synergie avec elle qui inclue, hors zones sanctuarisées, les humains et leurs activités.

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© Francis Hallé

 

Il ne s’agit donc pas d’exclure (voir déplacer) des populations pour y arriver mais de faire avec : « Nous irons à la rencontre des habitants de ces régions et l’accueil qui sera fait à notre projet sera déterminant, explique Francis Hallé. Car si on veut que ça fonctionne, il faut que les gens du coin y soient favorables. »[1]

 

L’idée est plutôt de l’envisager comme une source d’opportunités pour imaginer de nouveaux modèles de développement autour du naturel : tourisme de nature encadré, centre de conférence et de recherche scientifique, espaces pédagogiques,

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Ce serait un immense laboratoire à ciel ouvert et une source de savoirs pour la science en biologie, botanique, pharmacologie… Pour le grand public, un espace dédié, ouvert aux visiteurs avec des passerelles ou des caillebotis permettant la déambulation sans piétiner le sol.


Où en est le projet ?

 

L’association Francis Hallé a été créée en 2018 pour porter ce projet et permettre la bascule d’une utopie à une réalité. D’ores et déjà de nombreux scientifiques, experts forestiers, naturalistes et particuliers soutiennent cette démarche.
Les dernières actions les plus notables dans l’avancée de cette démarche sont :

  • 26/2/20 : Rencontre à la Commission européenne pour une aide juridique, voire financière.
  • 23/4/20 : Prise de contact avec l’Unesco.
  • 26/4/21 : Accueil favorable par le secrétariat d’État à la Biodiversité.
  • 21 : 1er voyage d’étude dans les Vosges du Nord.

Vidéo_FHallé_ArticleP33© Francis Hallé

BIALOWIEZA : la dernière forêt primaire européenne

D’une surface de 160.000 ha, la forêt de Bialowieza se situe à cheval sur le territoire de la Pologne et de la Biélorussie.
Elle s’est formée voilà plus de 10.000 ans à la suite de la dernière glaciation. Elle est restée relativement à l’écart de la plupart des influences humaines, grâce à son statut de zone de chasse des rois de Pologne, puis du tsar de Russie.

La diversité biologique de cette forêt y est exceptionnelle. On y trouve de grands mammifères : élans, chevaux sauvages, loups et lynx, ainsi que des bisons, réintroduits après les ravages de la Seconde Guerre Mondiale. Sans compter de très nombreuses espèces d’oiseaux et d’insectes, et mêle de champignons, qui bénéficient de la présence importante de bois mort, caractéristique essentielle des forêts qui se régénèrent naturellement.


Classée en 1979 par l’UNESCO
, elle est cependant régulièrement menacée par des autorisations d’abattage d’arbres accordées par le gouvernement polonais.

Les autorités mettent en avant les ravages occasionnés par le scolyte typographe, qui creuse des galeries dans le tronc des épicéas et fait mourir l’arbre petit à petit. Les dégâts causés par l’insecte sont favorisés par la sécheresse croissante qui affaiblit les épicéas.

Les écologistes objectent que la forêt possède la capacité de faire face elle-même à cette menace. Pour eux, il s’agit davantage d’une volonté d’exploitation économique de cette immense réserve de bois. L’Union Européenne avait stoppé en 2018 les abattages en menaçant la Pologne de sanctions financières.

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Une nouvelle autorisation vient malheureusement d’être annoncée au mois d’avril 2021, réactivant les inquiétudes des milieux scientifiques et des mouvements écologistes.

 

Le projet de l’association Francis Hallé fait-il l’unanimité ? Naturellement non !

 

… À des degrés divers, les objections ou les réserves qu’il suscite interrogent toutes la place de l’être humain dans la Nature.

 

Bien-sûr, les milieux naturels ont vécu en très bonne santé durant des millions d’années avant que l’espèce humaine n’apparaisse et ne vienne y exercer son influence ! Il n’existe donc aucun inconvénient pour la forêt elle-même, contrairement à des opinions encore tenaces, à la laisser vivre sa vie, sans que les forestiers ne viennent « l’entretenir ».

Pour autant, est-il légitime qu’un espace forestier soit « sanctuarisé », c’est-à-dire laissé vierge de toute présence humaine ? La future forêt restera, quoi qu’il en soit, accessible aux scientifiques et projets pédagogiques. De plus, il n’existe plus aucun milieu naturel entièrement « vierge » ; même les immenses forêts d’Amazonie ont été façonnées par les populations indiennes qui y étaient nombreuses avant les conquêtes européennes.


Un débat vif
existe parmi les défenseurs de la Nature, pour savoir quel est le meilleur moyen de la protéger. Faut-il en écarter l’humain ? Ou plutôt favoriser des modes de coexistence harmonieux entre les écosystèmes et les populations locales ? Selon les partisans de la gestion écologique, les milieux ouverts (prairies, zones humides), entretenus par l’homme depuis des siècles, sont sources d’une biodiversité incomparable. Or, celle-ci peut disparaître si l’on laisse la forêt reprendre ses droits. Par ailleurs, des cultures paysannes ont su développer des techniques traditionnelles à la fois nourricières et compatibles avec leur environnement. C’est le cas de l’agro-foresterie, présente sous différents climats.

La forêt remplit dans un espace aussi densément peuplé que l’Europe de l’Ouest des fonctions multiples. Outre sa fonction écologique essentielle, elle remplit un rôle social et récréatif indispensable à notre santé mentale. Elle représente aussi une source d’approvisionnement en bois matériau et en bois énergie, qui sont appelés à prendre une place croissante au vu des impératifs de décarbonation de notre économie et de lutte contre les pollutions.

Ces réalités ne peuvent être ignorées, même dans une stricte optique de préservation des milieux naturels. La question se pose : une protection absolue de 70 000 ha, pourrait-elle entrainer des effets secondaires inattendus sur les autres zones naturelles ?

La concertation menée par l’association Francis Hallé dans la mise en œuvre du projet est naturellement destinée à réfléchir à toutes ces questions complexes.

Sources et Bibliographie en lien avec cet article :

Un grand merci à M. Francis HALLE, à l’association Francis Hallé pour la forêt primaire et en particulier à M. Pierre CHATAGNON, pour la mise à disposition gracieuse, pour cet article, des différentes illustrations, photos et vidéo.

 

 

[1] https://lagedefaire-lejournal.fr/francis-halle-reconstituer-une-foret/

Pour en savoir +