Jardin-forêt :

une pratique ancestrale pour un avenir durable ?

Proposé par Clémentine FUCHS et Léa GIRARD

Étudiantes du mastère spécialisé® Éco-conseiller | P36 – 08/01/2025

Qu’est-ce qu’un jardin-forêt ?

Un jardin-forêt, aussi appelé « forêt jardin », « forêt nourricière » ou « forêt comestible », est une façon de cultiver la terre qui repose sur l’intégration des arbres dans les paysages agricoles. Ce type de jardin, véritable écosystème autonome, est conçu pour imiter les interactions complexes des forêts, avec des plantes sélectionnées en fonction de leur utilité pour l’homme et leurs relations bénéfiques entre elles, sur le modèle des guildes. Ainsi, le jardin-forêt fonctionne comme un écosystème autosuffisant, où les plantes coexistent et se soutiennent mutuellement, tout en fournissant une variété de produits, allant de la nourriture et des médicaments, au bois et à l’alimentation pour le bétail.

Contrairement à l’agriculture conventionnelle, qui privilégie souvent la monoculture, le jardin-forêt repose sur la diversité et la superposition de plusieurs types de plantes, mais aussi sur des jeux d’ombre et de lumière. Robert Hart, pionnier des jardin-forêts en climat tempéré, a défini, dans son ouvrage Forest Gardening, sept strates distinctes de plantes pour structurer sa forêt comestible : 1- la canopée (grands arbres fruitiers ou nourriciers de plus de 10 mètres), 2- les arbustes (4 à 9 mètres), 3- les buissons (jusqu’à 3 mètres), 4- les herbacées (légumes et herbes vivaces), 5- les légumes-racines et plantes tuberculeuses, 6- les plantes couvre-sol (plantes à propagation horizontale tels que les rampantes, mousses, champignons) et 7- les lianes et grimpantes (plantes à croissance verticale).[1]

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Illustration des 7 strates d’un jardin-forêt

Titre : Illustration des 7 strates d’un jardin-forêt

D’où vient cette idée de jardin-forêt ?

Les jardins-forêts ne sont pas une invention moderne, mais un ensemble de pratiques anciennes qui remonte à plusieurs millénaires [2]. Dans certaines régions du monde, ils sont encore aujourd’hui monnaie courante, notamment dans des régions tropicales telles que l’Indonésie [3], le Sri Lanka [4], le Cameroun [5] ou le Mexique [6].

Mais d’anciens jardins-forêts ont également été découverts dans des régions plus tempérées comme le Canada [7]. L’émergence de principes tels que la permaculture et l’agroécologie dans les années 1970 a favorisé l’apparition des jardins-forêts en Europe, et plus particulièrement en France. Un exemple emblématique est la forêt gourmande  en Bourgogne créée en 2010 par Fabrice Desjours qui a rapidement gagné en popularité [8]. Pourtant, malgré leur potentiel, les jardins-forêts restent encore peu répandus.

Pourquoi ça ? Il semblerait que ce concept suscite encore de nombreuses idées reçues. Regardons si l’on peut en contredire quelques-unes [9], [10].

Idée reçue n°1 : Mais ce dont vous parlez là, c’est un verger !

Les jardins-forêts et les vergers sont deux types d’agroforesterie qui ont des points communs. Par exemple, ils peuvent tous deux comporter des arbres fruitiers et d’autres plantes. Cependant, ils diffèrent sur plusieurs points essentiels, notamment en termes de structure et de diversité.

En effet, la structure du jardin-forêt est plus complexe et comporte de multiples « strates » ou « étages » de végétation [11], tandis qu’un verger n’a en général qu’une seule strate d’arbres fruitiers, avec parfois un étage de végétation secondaire proche du sol.

De ce fait, les jardins-forêts ont aussi plus de diversité de plantes. Cela comprend des grands fruitiers, des arbustes (comme les buissons de baies), des plantes vivaces, des herbes aromatiques, ainsi que des racines comestibles et des champignons. Cette organisation en strates permet de maximiser l’utilisation de l’espace et de créer un système plus diversifié, autonome et durable. Contrairement au verger, le jardin-forêt favorise la biodiversité, gère naturellement la fertilité du sol et nécessite moins d’interventions extérieures, tout en offrant une plus grande résilience face aux maladies et aux nuisibles.

Schéma représentant les avantages et inconvénients de plusieurs types d’usages des sols

Schéma représentant les avantages et inconvénients de plusieurs types d’usages des sols

Source : Wouter van Eck www.voedselbosbouw.org / Jardin Forêt de la licorne Saverne

Idée reçue n°2 : Ça n’intéresse que ceux qui aiment manger des feuilles et des graines !

Il est tout à fait possible de planter des plantes conventionnelles dans un jardin-forêt, si on est frileux quant au fait de modifier son alimentation. Il est cependant aussi possible de faire pousser une vaste variété d’aliments : fruits, légumes (notamment vivaces), graines, noix, tubercules, champignons, fleurs comestibles, épices, ainsi que des plantes aromatiques et médicinales [12]. Il serait dommage de s’en priver.

Lorsque l’on plante son propre jardin-forêt, on peut aussi imaginer cultiver des espèces de fruits qu’on ne trouve plus en supermarché. Notre alimentation végétale se limite à quelques dizaines de plantes, alors qu’il existe plus de 7 000 espèces comestibles adaptées aux climats tempérés. Le jardin-forêt offre l’opportunité de redécouvrir certaines de ces espèces tout en explorant de nouvelles façons de consommer des aliments familiers.

Idée reçue n°3 : Ça a l’air trop compliqué de créer un jardin-forêt. Il faut avoir des compétences spécifiques. C’est donc réservé aux experts.

Concevoir un jardin-forêt peut sembler complexe au premier abord, en raison des concepts de permaculture et d’agroécologie qu’il implique. Pourtant, c’est un système adaptable et accessible, même pour les débutants. Justement, la permaculture donne des lignes directrices pour comprendre comment planter son jardin-forêt. L’approche consiste principalement à observer la nature et à introduire progressivement les espèces.

De nombreuses ressources sont disponibles pour accompagner les novices : e-book, ouvrages spécialisés, tutoriels en ligne, et ateliers pratiques. Au fil du temps, un jardin-forêt gagne en autonomie et demande très peu d’entretien.

Idée reçue n°4 : Mais est-ce que ça fonctionne réellement en Europe ce type de plantation ?

En fait, oui, les jardins-forêts peuvent prospérer dans une large gamme de climats, des zones tempérées [13] aux régions plus froides ou semi-arides.

Dans les régions tempérées où la lumière peut être un facteur limitant, comme en France, des arbres fruitiers, des légumes vivaces et des herbes aromatiques peuvent y être cultivés avec succès. Dans des climats plus froids, comme en Scandinavie ou en Alaska, des espèces résistantes au froid, telles que des pommiers ou des légumes adaptés au froid, peuvent être intégrées. De même, dans les zones méditerranéennes, des plantes résistantes à la chaleur et à la sécheresse, comme l’olivier et le figuier, prospèrent dans ces jardins.

En s’appuyant sur une sélection de plantes adaptées et des techniques de gestion de l’eau, le jardin-forêt peut être une solution viable et résiliente pour tous les types de climat. De plus, en Europe, la forêt représente le climax écologique, c’est-à-dire que, sans intervention humaine, la succession naturelle mène à la formation d’une forêt. Il suffit alors de soutenir ce processus en y intégrant des plantes comestibles ou médicinales.

Idée reçue n°5 : Il faut avoir beaucoup de surface pour faire un jardin-forêt, je n’ai pas assez de place !

L’une des idées les plus répandues sur le jardin-forêt est qu’il nécessite une grande surface pour être viable. Cette croyance provient probablement du fait que le concept s’inspire des forêts naturelles qui couvrent de vastes étendues. Pourtant, un jardin-forêt peut être adapté à des espaces de toutes tailles, y compris de petites parcelles urbaines ou des jardins privés.

Avec seulement 100 m², un jardin-forêt peut sembler modeste, mais grâce à son aménagement en trois dimensions, cette surface est optimisée et permet déjà des associations intéressantes. Le choix des arbres et arbustes est alors essentiel : opter pour des variétés naines ou colonnaires maximise l’espace disponible. Bien sûr, plus la superficie augmente, plus le jardin-forêt gagne en diversité, en résilience et en abondance.

L’objectif est de concevoir un lieu à la fois esthétique, productif et pratique, où la nature et les besoins humains coexistent en équilibre.

Idée reçue n° 6 : Ça prend des années avant d’avoir des résultats

Contrairement à ce que l’on pense souvent, un jardin-forêt peut produire des résultats très rapidement ! En effet, on ne plante pas que des arbres dans un jardin-forêt ! Des vivaces comme la consoude ou la rhubarbe fournissent des feuilles comestibles dès leur première saison. Certains arbustes comme le framboisier et le cassissier offrent des récoltes dès la première ou deuxième année. Bien que non comestibles, les plantes pionnières, telles que l’aulne ou le saule, poussent rapidement tout en enrichissant le sol.

En outre, le jardin-forêt a d’autres bénéfices que celui de l’alimentation. Dès le départ, il va participer à l’augmentation de la biodiversité (attirant pollinisateurs et oiseaux), et à l’enrichissement des sols grâce à des plantes fixatrices d’azote comme le trèfle. Avoir un jardin-forêt et s’en occuper peut aussi contribuer au bien-être personnel, même avant que les arbres ne soient matures. Un jardin-forêt est en constante évolution, avec des récompenses à chaque étape.

Idée reçue n°7 : On ne peut pas vivre d’un jardin-forêt

Un jardin-forêt est un écosystème diversifié capable de produire une large variété de ressources tout en offrant une autonomie alimentaire partielle et des revenus complémentaires. Il peut fournir des fruits à coque, des baies, des légumes adaptés à l’ombre, des plantes aromatiques et médicinales, ainsi que des semences, des boutures, ou encore du bois destiné au chauffage ou à l’artisanat. L’intégration d’animaux, tels que des poules, des chèvres ou des cochons, enrichit cet environnement tout en produisant des œufs, du lait ou de la viande.
Bien qu’un jardin-forêt ne puisse pas satisfaire tous les besoins alimentaires (notamment pour les céréales et la majorité des légumes annuels), il s’intègre harmonieusement dans un système plus vaste tel qu’une ferme ou micro-ferme, et peut même fonctionner en agriculture urbaine.

On peut aussi utiliser un jardin-forêt comme support éducatif en y organisant des formations et ateliers. Il constitue un cadre idéal pour aborder de nombreux sujets liés à la préservation de l’environnement. En effet, il favorise la résilience et la durabilité en générant des externalités positives, telles que la protection contre le vent, la préservation de la biodiversité, la production de biomasse, la beauté paysagère et l’exemple d’une agriculture durable, productive et économiquement viable [14].

Idée reçue n°8 : Le jardin-forêt n’est pas compatible avec l’agriculture actuelle

Le jardin-forêt peut parfaitement coexister avec l’agriculture actuelle en offrant une alternative durable et complémentaire. Plutôt que de remplacer l’agriculture conventionnelle, il permet de diversifier les cultures, de réduire la dépendance aux produits chimiques, et de mieux gérer les ressources naturelles comme l’eau et les sols.

En intégrant des principes tels que la diversité des plantes et la couverture du sol, il favorise la résilience aux changements climatiques [15] et soutient la biodiversité [16]. Le jardin-forêt s’inscrit ainsi dans une transition agroécologique, apportant des solutions pour une agriculture plus durable, locale et respectueuse de l’environnement [17].

Conclusion

Les jardins-forêts offrent une multitude de services écologiques, sociaux et économiques. Ils contribuent au stockage du carbone [18], à la création de sol et à la stabilisation du climat, tout en favorisant un microclimat bénéfique à leur environnement immédiat [19].

En tant que refuges pour la biodiversité et systèmes résilients, ils peuvent se maintenir sans irrigation, travail du sol ou intrants, sous réserve d’une gestion appropriée de la matière organique. De plus, elles permettent de produire une diversité d’aliments biologiques, soutiennent les communautés locales, créent des emplois, et enrichissent les paysages.Ces systèmes, capables de perdurer même en contexte de crise [20], constituent une approche complémentaire à d’autres formes d’agriculture et de gestion des ressources naturelles [21]

Source médiagraphiques

[1]  Desjours, F. (2019). Jardins-forêts un nouvel art de vivre et de produire. Google Books. https://www.google.fr/books/edition/Jardins_for%C3%AAts/UZaiygEACAAJ?hl=fr

[2] ‘Forest gardens’ show how Native land stewardship can outdo nature National Geographic Gabriel Popkin 23-04-2021

[3]  Kaya, M., Kammesheidt, L. & Weidelt, HJ. The forest garden system of Saparua island Central Maluku, Indonesia, and its role in maintaining tree species diversity. Agroforestry Systems 54, 225–234 (2002). https://doi.org/10.1023/A:1016060808831

[4]  Nuberg, I.K., Evans, D.G. & Senanayake, R. Future of forest gardens in the Uvan uplands of Sri Lanka. Environmental Management 18, 797–814 (1994). https://doi.org/10.1007/BF02393611

[5] Bisseleua D. Hervé B., Vidal, S. Plant biodiversity and vegetation structure in traditional cocoa forest gardens in southern Cameroon under different management. Biodivers Conserv 17, 1821–1835 (2008). https://doi.org/10.1007/s10531-007-9276-1

[6] Mariel Aguilar-Støen, Arild Angelsen, Kristi-Anne Stølen & Stein R. Moe (2011) The Emergence, Persistence, and Current Challenges of Coffee Forest Gardens : A Case Study From Candelaria Loxicha, Oaxaca, Mexico, Society & Natural Resources, 24:12, 1235-1251. https://doi.org/10.1080/08941920.2010.540309

[7]  Historical Indigenous Land-Use Explains Plant Functional Trait Diversity. Armstrong, Miller, McAlvay, Ritchie, and Lepofsky. 2021. Ecology and Society 26(2):6. https://doi.org/10.5751/ES-12322-260206

[8] Nicolas Meyrieux. (2023). Visite EXCLUSIVE de la forêt gourmande [Vidéo]. YouTube. https://www.youtube.com/watch?v=tYX-ak0kfG0

[9] Nicolas Meyrieux. (2023). 9 idées reçues sur le Jardin-Forêt (avec Claire Mauquié) [Vidéo]. YouTube. https://www.youtube.com/watch?v=uX-w4c4Umgo

[10]  Idées reçues sur le jardin forêt. CFM Radio. https://www.cfmradio.fr/idees-recues-sur-le-jardin-foret

[11] Permaculture Association. What is a forest garden ? https://www.permaculture.org.uk/what-is-forest-garden

[12] Graham Bell’s Forest Garden, Scottish Borders https://nationalforestgardening.org/resources/places-to-visit/

[13] Permaculture Association. What is a forest garden ? https://www.permaculture.org.uk/what-is-forest-garden 

[14] Hervé-Gruyer, C. (2019). Créer une mini forêt-jardin – pour se nourrir ou en faire son métier. https://www.google.fr/books/edition/Cr%C3%A9er_une_mini_for%C3%AAt_jardin/BmsvzwEACAAJ?hl=fr

[15] Van Noordwijk, M., Coe, R., Sinclair, F.L. et al. Climate change adaptation in and through agroforestry : four decades of research initiated by Peter Huxley. Mitig Adapt Strateg Glob Change 26, 18 (2021). https://doi.org/10.1007/s11027-021-09954-5

[16] Smith, J., Pearce, B., & Wolfe, M. (2013). Reconciling productivity with protection of the environment : Is temperate agroforestry the answer ? Renewable Agriculture and Food Systems, 28(1), 80-92. doi:10.1017/S1742170511000585 https://www.cambridge.org/core/journals/renewable-agriculture-and-food-systems/article/abs/reconciling-productivity-with-protection-of-the-environment-is-temperate-agroforestry-the-answer/50AE9D3919BC56EB711C66E5E96DC075

[17] Gold, M. A. (2024, Avril 18). agroforestry. Encyclopedia Britannica. https://www.britannica.com/science/agroforestry

[18] Gold, M. A. (2024, Avril 18). agroforestry. Encyclopedia Britannica. https://www.britannica.com/science/agroforestry

[19] Smith, J., Pearce, B., & Wolfe, M. S. (2013). Reconciling productivity with protection of the environment : Is temperate agroforestry the answer ? Renewable Agriculture and Food Systems, 28(1), 80-92. https://doi.org/10.1017/S1742170511000585

[20] Popkin, G. (2021, 23 avril). ’Forest gardens’ show how Native land stewardship can outdo nature. Environment. https://www.nationalgeographic.com/environment/article/forest-gardens-show-how-native-land-stewardship-can-outdo-nature

[21] Hervé-Gruyer, C. (2019). Créer une mini forêt-jardin – pour se nourrir ou en faire son métier. https://www.google.fr/books/edition/Cr%C3%A9er_une_mini_for%C3%AAt_jardin/BmsvzwEACAAJ?hl=fr

Pour aller plus loin :


L’une des cartes de France des jardins-forêts : https://jardin-foret-espace-public.gogocarto.fr/annuaire#/carte/@46.88,-10.33,5z?cat=all

La fresque des jardins-forêts : https://www.jardine-moi-une-foret.fr/

Association Planteurs Cueilleurs pour une forêt nourricièce à Strasbourg : https://www.helloasso.com/associations/les-planteurs-cueilleurs/collectes/creation-d-une-foret-nourriciere-a-strasbourg

L’Archipel du Vivant. (2024, 29 février). Fiche pédagogique : Jardin-Forêt ; Archipel du vivant. https://archipelduvivant.org/ressources/fiches-pedagogiques/foret-jardin/

Ailleurs dans le monde :
– Martin Crawford (Agroforestry Research Trust) : https://www.agroforestry.co.uk
– Forêt-jardin partagée de Leeds : www.bedfordfields.co.uk