Entretien avec Joanne SIMON, coordinatrice à Strasbourg Initiation Nature Environnement, CINE de Bussierre à la Robertsau (Strasbourg)

Le Centre d’Initiation à la Nature et l’Environnement de Bussierre propose dans son programme une formation destinée aux enseignants et enseignantes de l’Eurométropole de Strasbourg pour découvrir et pratiquer l’école du dehors. Dans quelles circonstances est né ce projet ?

Depuis de nombreuses années nous travaillons à SINE avec les enseignants, dans le cadre de différents projets : PEJ (« Protéger l’environnement j’adhère ! »), « les écocitadins découvrent la biodiversité », « la nature au fil des saisons » ou encore les  « classes d’eau ». Mais nous avons beaucoup de sollicitations auxquelles nous ne pouvons pas toujours répondre. Donc nous avions envie d’aller vers les enfants et les enseignants dans leurs lieux de vie habituels. En 2019, peu avant le confinement, nous avons été sollicités par l’Ecole Elémentaire des Romains et l’Ecole Maternelle Camille Claus à Koenigshoffen, qui s’intéressaient à « l’école du dehors ». Nous avons proposé une séance, une fois par mois d’abord, à deux enseignantes d’Elémentaire  et une de Maternelle. Le but était que l’enseignante retourne en autonomie avec ses élèves entre les séances et qu’elle fasse à sa manière, qu’elle essaye de mener seule une activité en extérieur avec eux. L’école a mis en place un système où une enseignante emmenait une collègue avec une classe dédoublée, pour que l’expérimentation puisse rapidement toucher tous les CP/CE1. Ces écoles ont été les premières à tester le dispositif. Actuellement, on en accompagne davantage : 5 ou 6 écoles, ça grossit d’année en année.

 

l'année en jardinage toute l'année

Ecole Jacqueline – Hautepierre, Strasbourg

Pouvez-vous décrire le déroulement de l’accompagnement que vous proposez à SINE pour faire découvrir aux enseignants comment faire l’école du dehors ?

Nos animateurs et animatrices nature échangent dans un premier temps avec les enseignants sur leurs envies, leurs besoins. Tous n’en sont pas au même stade ou niveau de pratique. Certains ont déjà expérimenté, d’autres pas encore. Ensuite, ils se rencontrent une fois par mois. Les animateurs vont dans les écoles et partent en « milieu naturel » avec les enfants. Au début, c’est un peu plus l’animateur qui gère la séance et progressivement, c’est de plus en plus l’enseignant ou l’enseignante, qui va prendre le relais pour arriver à animer toute la séance. C’est le but. Il y a une partie d’activité dirigée et une partie de jeu libre ou libre exploration pour les enfants. Ils échangent entre les séances sur leur vécu, les questionnements qu’ils peuvent avoir et sur comment réinvestir les vécus des enfants en apprentissages scolaires et sociaux.

Le cycle d’accompagnement permettant à l’enseignant de pouvoir voler de ses propres ailes dure combien de temps ?

Cela dépend de sa motivation, du bagage qu’il ou elle a initialement, cela dure un an, deux au maximum. Parallèlement, on coordonne le réseau des partenaires de « l’école du dehors » pour créer des temps de rencontre, à l’échelle de l’EMS. Ce réseau réunit les enseignants déjà accompagnés, celles et ceux auxquels on n’a pas encore pu répondre et celles et ceux qui se sont lancés en autonomie dans cette démarche. L’objectif est qu’ils puissent se nourrir des échanges, partager leurs expériences, leurs découvertes, les freins, les leviers, les activités… c’est un temps consacré aux professionnels : on échange avec eux, on leur propose des idées, des pistes…

SINE – CINE Bussierre

Voyez-vous un intérêt grandissant du monde de l’éducation pour cette nouvelle façon de concevoir l’école ?

Oui, il y a un véritable engouement ! En parallèle des cycles d’animations et formations à la nature qu’on propose déjà, on reçoit un nombre important de réponses favorables d’enseignants qui ont envie de découvrir « l’école du dehors ». La première année nous avons bénéficié de fonds provenant d’un appel à projets d’une fondation, mais maintenant il n’y a plus de financements fléchés, à part quelques financements provenant de certaines communes. Le programme général des activités de SINE comprend notre proposition pour les enseignants, conçu sur la base de notre propre financement. En effet, à ce jour, il n’y a malheureusement pas encore de prise en charge par le Ministère de l’Education Nationale pour leur personnel sur cette thématique. Les enseignants le suivent donc aussi sur leur temps personnel.

La demande d’animations « nature » et pour l’école du dehors a explosé suite au confinement. Pour cette année 2022/2023, on accompagne six enseignants du cycle élémentaire . Quelques professeurs de collège participent au réseau, mais ne sont pas encore lancés : c’est difficile pour eux d’aligner une demi-journée ou une journée par semaine dans le cadre du programme prévu au collège.

La demande vient de toutes sortes d’écoles, de milieux très urbains ou très ruraux même. Mais nous donnons souvent la priorité à celles des quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV).

 

Comment les enseignants pratiquent-ils « l’école du dehors » ici à Strasbourg et environs ?

Dans le cycle primaire, les enseignants et enseignantes sortent en général une demi-journée par semaine, quels que soient le temps et la saison, c’est ça le but ! Cela peut aussi être une fois toutes les 2 ou 3 semaines, tout dépend. Dans le cycle élémentaire déjà, il existe une grosse pression pour tenir les programmes, ce n’est donc pas toujours évident pour eux. Ces enseignants ont en général une sensibilité particulière vis-à-vis de la nature. Ce sont des personnes qui ont été émerveillées par la nature, qui ont rapport sensoriel avec elle et qui ont envie de transmettre cette expérience à leurs élèves. Bien entendu, l’idée est de s’appuyer sur le sensoriel et le ludique pour transmettre des connaissances et favoriser l’auto-expérimentation, l’expression orale et les expériences scientifiques.

Quel retour vous font-ils de leur expérience de la classe en extérieur ?

Les enseignants voient tout le bénéfice que cela apporte à la classe : les enfants gagnent en confiance en eux, en motricité, en coopération… L’ambiance dans la classe aussi s’améliore. Ils deviennent de petits explorateurs, ils se disputent moins et ensuite cela se reflète sur les apprentissages scolaires. En jouant, on retient, on apprend, on mémorise mieux ! Une fois en classe, ils arrivent à conserver le bénéfice apporté par la classe dehors. Les enseignants s’appuient sur les temps de classe passé à l’extérieur pour réinvestir les apprentissages de manière plus théorique par la suite. Grâce aux activités en « école du dehors », les enfants se souviennent mieux : ils ont manipulé, ils se sont déjà questionnés, avant de passer à la phase abstraite. La liste des bénéfices est impressionnante.

Ecole du Ziegelwasser Strasbourg

Ecole Jacqueline – Hautepierre, Strasbourg

Dans quel type de nature les sorties ont-elles lieux en pratique ?

Les milieux dans lesquels les classes sortent sont très variés : les écoles du Neuhof ou d’Illkirch peuvent aller vraiment en forêt, d’autres dans le Parc Naturel Urbain Ill-Bruche. D’autres dans les parcs, ou encore en village, sur le terrain d’un particulier ouvert aux enfants, son verger par exemple. L’objectif c’est que les enfants puissent pousser, transvaser, gratter la terre, expérimenter. Mais il y a plusieurs impératifs : il faut des accompagnateurs, ce qui n’est pas toujours aisé, ça demande plus de logistique. Il existe aussi une problématique de déchets, de déjections canines, de choses qu’on ne maîtrise pas. Une autre contrainte est qu’on ne peut pas faire d’aménagements dans ces espaces.

Dans certains cas, on butte sur cette question de base : « mais où aller ? » si l’on veut pouvoir laisser les enfants s’exprimer, par la motricité, la manipulation. Les enseignants s’interrogent donc sur ce qu’ils pourraient faire de leur cour. C’est là qu’apparaît le besoin de re-végétaliser les cours d’école. Si la cour d’école est « ré-ensauvagée », cela permet plus facilement de sortir… Nous travaillons sur les liens à faire entre cour d’école et pédagogie. A Strasbourg, parallèlement à la concertation réalisée par ECO-Conseil sur le projet de végétalisation de la cour, nous réfléchissons avec les enseignants au moyen de leur permettre de s’emparer de cette cour et rebondir sur d’autres approches. Nous essayons d’éveiller l’imaginaire des enseignants et enseignantes. Nous accordons aussi une grande importance aux continuités éducatives entre le temps scolaire et péri-scolaire. Il est nécessaire d’impliquer toutes les personnes qui gravitent autour de l’école :  le personnel de ménage, le responsable territorial de site, ils sont tous impliqués à un moment ou un autre.

 

SINE – CINE Bussierre Strasbourg

Donnez-moi des exemples d’apprentissages scolaires que l’on peut faire à l’extérieur avec les élèves…

Comment se raccrocher à un élément du programme ? Toutes les matières peuvent être réinvesties ! A la base ce sont les explorations du jour et comment on peut rebondir sur les observations faites par les enfants. Il y a aussi des activités plus dirigées. L’école du dehors ça sert à faire du français, des maths, des arts plastiques, de l’activité sportive, de la motricité, du langage, de la coopération, du vocabulaire, des travaux manuels … En Maternelle c’est surtout le jeu et le jeu libre. Les enseignants peuvent se baser sur une expérience vécue en extérieur et la retravailler de manière plus théorique ensuite. Ou bien ils peuvent illustrer à l’extérieur une notion vue avant en classe. La classe du dehors change aussi la manière de faire classe dedans ! Cela rejaillit sur leur manière de procéder par la suite. La posture de l’enseignant change aussi. Les relations entre élèves et entre l’enseignant et les élèves, l’ambiance dans la classe… tout change !

Et dans le secondaire ? Fait-on encore des classes vertes ?

Dans le secondaire, certains profs participent au réseau et disent leur envie de se lancer dans l’école du dehors. Il y a des tentatives sous forme d’une ou plusieurs journées. L’idée est que la pédagogie soit appliquée toute l’année et pas seulement sous forme d’une « classe verte ». A SINE, nous avons notamment la « classe d’eau », mais c’est un peu différent.

 

Et les parents ?

On essaie de les accompagner dès le début du projet, on explique pourquoi on va le faire et comment on va le faire. Dans les QPV, c’est là qu’on voit le moins les parents, il n’y en a parfois que trois ou quatre à la réunion de rentrée… C’est donc difficile d’échanger avec eux. On aimerait avoir plus de contacts avec les parents.

Combien d’enfants dans la région de Strasbourg ont pu bénéficier de l’expérience de la classe dehors ?

La première année c’était 3 classes soit 53 élèves, actuellement environ le triple par an. Les enseignants se lancent parfois en autonomie, alors que certains ont besoin d’une piste d’envol. Il y a au total 140 enseignants actuellement dans notre réseau.

SINE – CINE Bussierre Strasbourg

Qu’est-ce que vous observez du côté des enfants eux-mêmes quand ils expérimentent les activités en extérieur ?

Lors du déconfinement, le besoin des enfants de se reconnecter à la nature était très fort.

Surtout dans les quartiers défavorisés, où les enfants avaient encore plus besoin du contact avec la nature. Nous avons des témoignages d’enfants de CM1-CM2 qui racontent que c’est la première fois qu’ils marchent pieds nus dans l’herbe, qu’ils enlèvent leurs chaussures. Des maîtresses nous disent : « c’est la première fois que je vois cet enfant sourire ou parler comme cela »… C’est dehors que ça se passe ! Il y a des situations qui donnent la chair de poule ! En ce qui me concerne, je viens de la campagne : les enseignants nous emmenaient régulièrement dehors. Aujourd’hui, beaucoup d’enfants ne sortent jamais, on n’arrête pas de leur dire « Attention ! Touche-pas ça ! C’est sale la terre ! »… Il y a un temps d’adaptation nécessaire au tout début, puis ils retrouvent leur âme d’enfant, ils sautent dans les flaques, ils grimpent, transvasent…

Qu’en disent vos animateurs et animatrices ? L’école dehors leur apporte-t-elle une expérience différente de leur travail habituel ?

Ce n’est pas une animation « nature » en tant que telle. Bien-sûr, on peut apporter des connaissances naturalistes, mais ça va au-delà. C’est d’abord la posture. Comment réinvestir des apprentissages et bien plus encore… Le binôme animateur nature/enseignant est intéressant. Il y a une influence réciproque. C’est hyper enrichissant des deux côtés… Les temps de réseau permettent cela, les échanges vont dans les deux sens, c’est le but ! Nous sommes dans la pédagogie active, pas dans du descendant, nous construisons des outils ensemble. Ce qui est chouette c’est la motivation des enseignants. Ce sont des projets qui font du bien à tout le monde !  Si les enfants sont mieux, on est mieux soi-même !

Comment vous voyez les choses pour la suite ?

On aimerait être plus financés pour répondre à toutes les demandes ! J’espère que globalement, cela va continuer à se développer rapidement dans les années à venir. Partout en France c’est en train d’exploser. L’Education Nationale a encore du mal à savoir comment se positionner, mais la demande est forte. Je crois que je ne connais pas un seul enseignant à s’être lancé qui imagine revenir en arrière. L’école du dehors est encore plus développée dans des pays comme la Belgique, la Finlande, l’Allemagne, la Suisse… Toutes les écoles du dehors sont différentes, mais tous les pays y viennent.

Pour devenir éco-citoyen demain, si tu n’as pas cette capacité d’émerveillement envers la nature, qui te donne envie de la protéger … au bout de la chaîne, ça n’a pas de sens d’aller trier un déchet ou plus largement t’impliquer pour ton environnement. C’est le terreau pour préparer la suite !

Ecole Jacqueline, Hautepierre, Strasbourg.

Envie de vous lancer ? Découvrez le Manuel de l’école du dehors réalisé par ECO-Conseil en partenariat avec l’école Jacqueline !